La dette est le cancer de la démocratie
Texte d’opinion publié le 24 janvier 2017 dans Les Échos.
La montée du populisme est un phénomène démocratique préoccupant en ce qu’il menace les fondements mêmes de nos démocraties. En France, la prochaine élection présidentielle laisse planer le risque d’un score très important pour le Front national. Ailleurs, le Brexit, l’élection de Donald Trump, la victoire de Viktor Orban en Hongrie, la participation des «vrais Finlandais» au pouvoir sont autant de signes de la généralisation du phénomène à l’ensemble des pays développés.
Bien sûr, nombre d’experts s’y sont intéressés et ont identifié des raisons possibles de son développement. Il me semble cependant que le rôle de la dette publique n’y a pas été suffisamment souligné. Il est important en ce que son existence est le symptôme d’une maladie grave du système démocratique.
Rupture du contrat social
Nombre de commentaires soulignent, avec raison, les effets de la crise financière de 2008-2009. Ils oublient néanmoins de pointer du doigt sa cause réelle. Comme l’expliquent les deux économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, les crises monétaires et financières ont toutes un point commun : l’excès de dettes. «Ces masses de dettes énormes sont dangereuses parce qu’elles mettent l’économie à la merci d’une crise de confiance.»
Cette notion de confiance est au coeur de la crise morale de nos démocraties. Car si la crise de confiance peut provoquer une crise financière, c’est parce qu’elle résulte elle-même d’une rupture du contrat social.
Car, au fond, qu’est-ce qu’une dette publique ? En dehors de toutes les explications qui la justifient, elle incarne le montant que les instances publiques dépensent sans oser s’enquérir du consentement de leurs concitoyens. S’ils l’avaient eu, il leur aurait suffi de le financer par l’impôt. Le choix de la dette, c’est le choix des parlementaires de dépenser plus sans l’accord préalable de leurs électeurs.
Or, le consentement à l’impôt est un des fondements de nos démocraties. Dès lors que nos responsables politiques jugent qu’ils peuvent passer outre en créant de la dette, ils font fi de ce pilier qui est pourtant le garant du «vivre ensemble.» Car le consentement à l’impôt est un composant actif de la coopération humaine. Il symbolise ce phénomène décrit par l’humaniste Etienne de La Boétie, dit de «servitude volontaire». C’est notre consentement à respecter des contraintes légales, conventionnelles, informelles dans le but de coopérer pacifiquement.
Le populisme, métastases du cancer
Cette servitude volontaire est fragile. Quand il devient évident que l’esprit de la Constitution n’est pas plus respecté, alors les gens cessent d’y croire et cela suscite de la méfiance. Cette méfiance, on la voit partout dans ces pays qui ont délaissé la notion d’équilibre budgétaire, pensant qu’elle était obsolète alors qu’elle est au coeur du pacte social. Ces pays se créent des lendemains qui déchantent, car il y a toujours un moment où sonne l’heure des comptes.
Sans surprise, les citoyens rechignent à payer l’addition lorsqu’elle se présente tôt ou tard car ils n’ont rien commandé. Forcés à le faire, ils se sentent floués par leurs dirigeants et cherchent alors des alternatives qui représentent mieux leurs sentiments : leur ras-le-bol fiscal, leur crise d’identité, leur méfiance à l’égard du créancier étranger, l’exil intérieur ou les départs à l’étranger…
La dette publique n’est pas un simple sujet comptable. Son envol fragilise nos pays démocratiques. Comme un cancer, elle s’est développée au fil des années et certaines de ses métastases s’appellent le populisme. Tous ceux qui continuent d’appeler de leurs voeux une augmentation de la dette publique sous-estiment à quel point cela gangrène nos démocraties.
Au XIXe siècle, les partis de gauche avaient bien compris ce risque. Ils défendaient l’équilibre budgétaire au nom de la nécessité de protéger les pauvres des générations futures. Il est grand temps que l’on se réapproprie cette façon de voir et que l’on pousse la classe politique à cesser de vivre à crédit. L’équilibre budgétaire est important dans nos démocraties.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.