Trois scénarios pour une dette publique insoutenable
Éditorial de Jean-Marc Vittori publié le 13 mars 2017 dans Les Échos.
L’État français doit beaucoup d’argent et en a peu pour rembourser. Le jour où la BCE durcira sa politique monétaire, la France risque d’être très vite en difficulté. Sauf si la Banque Centrale renonce pour toujours à relever ses taux.
La montagne est toujours là. À vrai dire, elle est encore plus haute qu’avant. Et comme elle est friable, composée non de roches et de terre mais de confiance, elle risque de provoquer des éboulis mortels. Surtout que le grillage posé il y a cinq ans pour la retenir risque d’être bientôt retiré.
Cette montagne, c’est notre bonne vieille dette publique, qui approche inexorablement des 100 % du PIB (96,2 % prévus à la fin de l’année par la loi de finances, 97 % selon les dernières prévisions de la Commission européenne). À vrai dire, on l’avait un peu oubliée ces dernières années. Notre cher président, qui s’est plaint d’avoir « manqué de bol » sur la courbe du chômage, ne saurait en dire autant sur les finances publiques. François Hollande a bénéficié d’une chance inespérée, venue du malheur des autres. A peine était-il arrivé à l’Elysée en mai 2012 que les taux d’intérêt se sont en effet envolés… Non pas sur la dette française, mais sur la dette italienne et espagnole (taux proche de 7 % en Italie, au-delà en Espagne). À tel point que la zone euro menaçait d’éclater. Fin juillet, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a calmé le jeu en déclarant que la BCE fera « ce qu’il faudra » pour préserver la monnaie unique. Alléluia ! En déversant des centaines de milliards sur les marchés pour acheter des obligations d’Etat, la BCE a fait baisser les taux d’intérêt qui sont même parfois devenus négatifs, anesthésiant les tensions sur la dette publique pour des années. Ce qui fait dire en toute candeur au candidat socialiste à l’élection présidentielle, Benoît Hamon, que « nous pouvons parfaitement vivre avec une dette à hauteur de 100 % du PIB. »
Sauf que ce temps béni pourrait bientôt s’achever. Aussi sûr que 2 et 2 font 4 ? Dans la zone euro, la croissance annuelle approche enfin les 2 %. Et en février, l’inflation a cogné la barre des 2 %, alors que l’objectif premier de la BCE est de maintenir la hausse annuelle des prix « en dessous de, mais proche de 2 % ». Il y a, bien sûr, plein d’arguments pour relativiser ces chiffres – l’activité manque de ressorts puissants, l’accélération des prix vient d’abord du renchérissement du pétrole, qui va bientôt « sortir de l’indice », etc. Mais la pression va s’accroître sur les banquiers centraux pour qu’ils précisent l’horizon du resserrement monétaire (quand vont-ils diminuer leurs achats de titres, quand vont-ils relever leurs taux d’intérêt ?). Pour au moins trois raisons : d’abord, banquiers et les assureurs gagnent moins d’argent quand les taux sont très bas ; ensuite, les épargnants veulent que leurs économies rapportent davantage ; enfin, les Allemands dont l’économie est au plein-emploi, aspirent à une politique monétaire moins accommodante pour limiter les risques d’emballement des prix ou de la spéculation.
Et si la Banque centrale européenne diminue ses achats de titres, retirant ainsi ce maillage qui empêche la montagne de laisser tomber des cailloux, si les taux d’intérêt remontent vraiment… alors la question de la dette va redevenir très vite centrale (comme elle n’a jamais cessé de l’être en Grèce). Signes de ce vent qui tourne : le FMI vient de publier un texte de doctrine sur la dette souveraine. Et les investisseurs demandent aux équipes de recherche des banques… des études sur la soutenabilité de la dette publique dans les différents pays de la zone euro. Or la France a ici un vrai souci. La Commission européenne l’a rappelé fin février au détour d’une phrase dans son très technique « paquet d’hiver du semestre européen » : « Les risques en termes de soutenabilité à moyen terme sont élevés. » L’agence de notation Moody’s estimait début mars que « La France a un poids de la dette très élevé », rappelant qu’elle affiche « depuis plusieurs dizaines d’années de mauvais antécédents en termes de réduction de la dette. » A l’exception du coup d’accordéon sur la trésorerie de l’Etat en 2006, sa dette publique n’a cessé de grimper depuis un demi-siècle – lentement, en temps ordinaire, et par sauts de cabri en temps de récession (+20 points de PIB entre 1992 et 1997, +30 points entre 2008 et 2014).
Face au risque d’une dette devenant insoutenable, on peut esquisser trois scénarios. Le premier serait une France qui change. En ces temps de campagne électorale, il n’est pas interdit de rêver à un nouveau président qui réussirait le tour de force de maîtriser les finances publiques tout en débridant la croissance, ce qui engendrerait des ressources nouvelles destinées en partie au service de la dette. Le deuxième serait une France qui bloque, par refus ou incapacité d’honorer sa dette. Benoît Hamon semble avoir songé à un gel (« Dire que l’on va s’en sortir sans moratoire (…), cela ne tient pas la route ») avant de l’écarter. La candidate du Front national, Marine Le Pen, assume ce choix en voulant rembourser des euros en francs imprimés par la Banque de France. Il est difficile alors de ne pas envisager un bain de sang financier.
Le troisième scénario, le plus probable, serait une France qui continuerait comme avant, mais en moins bien. Elle devrait verser des taux d’intérêt plus élevés à ses prêteurs, qui ne savent pas vraiment où placer leur argent. Cette charge croissante de la dette, payée aux deux tiers à des créanciers étrangers, aurait l’effet d’une saignée continue sur l’économie nationale : elle l’affaiblirait. À moins que… la BCE découvre tout bonnement qu’elle ne peut pas arrêter ses achats d’obligations sans déclencher une crise financière majeure. Elle continuerait alors indéfiniment d’acheter des titres publics, comme le fait désormais la Banque du Japon. Naguère, l’impression de billets pour financer les déficits publics menait immanquablement à la banqueroute et à la fuite devant la monnaie. Le vrai défi aujourd’hui est d’imaginer la version XXIe siècle de la crise des assignats, qui avait plombé la Révolution française.