L’avenir du travail se joue aujourd’hui
Texte d’opinion publié le 2 mai 2017 dans le n° 398 des Cahiers français.
L’automatisation et la robotisation représentent des défis et des chances pour l’emploi : elles font évoluer l’organisation classique du travail et poussent à plus de flexibilité ; elles créent de nouveaux métiers et détruisent d’autres. Les rigidités sur le marché du travail posent dans ce contexte un problème : plus elles sont prononcées, plus il sera difficile de lutter contre le chômage tout en s’adaptant aux défis posés par le progrès technique. En partant de cette hypothèse, Gabriel A. Giménez Roche scrute le marché du travail français à la recherche des rigidités qui, notamment quand elles concernent la protection de l’emploi, créent de mauvaises incitations, aussi bien pour les employées que pour les employeurs. Le débat à ce sujet a eu lieux dans de nombreux pays européens. Ceux qui ont mis en œuvre les réformes structurelles efficaces avant la crise de 2008 ont mieux supporté la récession qui l’a suivie. C.F.
Le changement innovant du travail
Les innovations technologiques et organisationnelles ont toujours modifié la nature du travail. Celles-ci peuvent générer des gains de productivité considérables pour les travailleurs, mais elles peuvent aussi rendre certains métiers obsolètes et les exposer au risque du chômage. Par ailleurs, ces changements peuvent offrir à des chômeurs ou nouveaux entrants sur le marché du travail des opportunités de s’y intégrer. Reste que les difficultés à assimiler ces progressivement innovations peuvent fortement compliquer l’accès à l’emploi. Au final, la bonne santé d’un marché du travail est avant tout un enjeu institutionnel.
L’économie mondiale passe actuellement par un processus accéléré de « création destructrice » qui redistribue les ressources productives des entreprises les moins performantes vers les plus performantes. Précisons, pour nuancer, que le Conseil d’orientation pour l’emploi indique que tout au plus 10 % des emplois existants seraient menacés par l’automatisation et la numérisation croissante des métiers, et qu’au moins la moitié des emplois existants verraient leur contenu évoluer considérablement (COE, 2017). Ajoutons aussi que chaque année en France, à peu près 15 % des emplois disparaissent en même temps que 15 % d’emplois nouveaux apparaissent (Cahuc et Zylberberg, 2015).
Automatisation et robotisation ne signifient pas toujours destruction nette d’emplois. Si cette évolution s’accompagne de gains de productivité, cela veut dire que la structure productive de l’économie s’améliore du point de vue qualitatif et quantitatif. Si on peut faire plus avec moins, les ressources, dont l’usage est rendu obsolète dans un segment de l’économie, seront libérées pour être mieux utilisées dans de nouveaux segments nécessitant leur concours. Ainsi, l’agriculture a subi une profonde rationalisation sous les effets de son industrialisation. L’industrie est, elle aussi, l’objet d’un profond processus de tertiarisation qui a permis sa rationalisation et l’émergence d’un secteur dynamique des services. Ce processus se répète depuis des siècles et a permis des gains réels de bien-être à toute la société (Deaton, 2013).
C’est précisément grâce à l’automatisation et à la numérisation que l’organisation classique du travail est en train d’évoluer. L’ancien modèle répondait à deux problèmes : forte complémentarité physique entre travail et installations fixes et besoin de contrôler le travail horaire de l’employé pour éviter tout absentéisme et procrastination. Or, les innovations technologiques et organisationnelles libèrent graduellement le travailleur de toute fixité, et substituent l’évaluation des résultats au monitoring de l’efficacité horaire du travail. Ainsi, le télétravail se développe graduellement et de façon complémentaire au travail classique. Une autre évolution est celle du coworking qui permet aux entreprises de partager des espaces de travail et ainsi de minimiser leurs coûts immobiliers tout en construisant des synergies entre les professionnels de différentes entreprises hébergées dans ce même espace [[Le coworking en France est passé de 250 à 360 espaces – soit une croissance de 44 % – rien qu’entre 2014 et 2015 (La Fonderie, Agence numérique d’Ile-de-France (2016), Les espaces de coworking en France en 2015 : phénomène qui se confirme, consulté le 16 février 2017, https://lafonderie-idf.fr/espaces-coworking-france-2015/).]]. Le domaine de la sous-traitance industrielle et des services se trouve également transformé avec la possibilité pour des jeunes diplômés et professionnels expérimentés de créer une entreprise.
Ces nouvelles tendances sont renforcées par l’évolution du financement des entreprises qui ne se limite plus à la banque ou aux marchés financiers, souvent plus adaptés aux besoins de grandes entreprises qu’à ceux des PME. Le financement participatif (crowdfunding, peer-to-peer lending, equity crowdfunding) offre à de nouveaux entrepreneurs, la possibilité de créer leur entreprise. En France, le financement participatif est ainsi passé de 78 millions d’euros en 2013 à 296,8 millions euros en 2015 [[Financement Participatif France (2016), Baromètre du crowdfunding 2015 (consulté le 16 février 2017, http://financeparticipative.org/barometre-du-crowdfunding-2015/).]]. Jamais les opportunités de création d’entreprise et donc d’emplois n’ont été aussi diversifiées et abondantes.
Diagnostic du marché du travail français
Les gains de productivité liés à l’automatisation et au numérique poussent à plus de flexibilité sur le marché du travail. Cependant, celui-ci reste rigide, au point qu’il sera difficile de diminuer le chômage tout en s’adaptant aux évolutions des métiers.
Deux caractéristiques du marché français permettent d’expliquer la difficulté des chômeurs à s’y intégrer. Le premier concerne les professions réglementées. Elles imposent des quotas attribués par le biais de licences, du numerus clausus ou des exigences légales de diplômes. Les chômeurs sont tout simplement interdits de concurrencer les détenteurs de ces quotas de travail, ce qui limite leur accès à l’emploi. L’Inspection générale des finances a répertorié 37 professions réglementées en France qui nécessiteraient une réforme de leur statut. Cela va du moniteur de ski aux notaires en passant par les formateurs, les médecins, les chauffeurs de taxi et les experts-comptables. Il s’agit là de plus de 600 000 postes protégés dont la mise en concurrence pourrait engendrer la création de 120 000 emplois (IGF, 20 1 3, p. 55–57). Ce chiffre reste cependant dérisoire face aux 3 millions de chômeurs en France.
La deuxième caractéristique du marché français concerne le cloisonnement entre salariés et chômeurs du fait de la protection de l’emploi, des charges patronales, du salaire minimum, des prestations sociales et des allocations de chômage qui encadrent l’emploi salarié en France. Dans ce cadre, les coûts de renouvellement du personnel d’une entreprise sont trop élevés pour être compensés par l’embauche de chômeurs moins chers. [[Les coûts de renouvellement du personnel se dédoublent en coûts d’embauche et coûts de licenciement. Les premiers comprennent les dépenses encourues pour rendre les candidats à l’emploi pleinement productifs à l’entreprise comme la communication des postes disponibles, la sélection des candidats et leur entraînement. Les coûts de licenciement intègrent à leur tour les dépenses avec des indemnités de départ, les coûts sociaux et juridiques des procédures de licenciement, les dépenses en cas de litige, ainsi que les pertes de productivité suite à la mauvaise volonté des employés restants (Lindbeck et Snower 1998, 2001).]] Cela explique le chômage structurel français et l’impossibilité de faire converger l’offre et la demande d’emploi. Les politiques gouvernementales visant à augmenter la demande des ménages et donc les recettes des entreprises ne peuvent pas l’enrayer.
Les salariés deviennent ainsi des insiders du système, tandis que les chômeurs restent durablement des outsiders (Lindbeck et Snower, 1988, 2001). Tant que les coûts de renouvellement du personnel restent élevés et impossibles à supprimer, les insiders ne subissent pas de concurrence salariale de la part des outsiders. Quand l’un d’eux parvient néanmoins à entrer sur le marché du travail, moins cher que ses collègues insiders, il ne leur fait pas nécessairement concurrence. Car une fois sa formation achevée, son niveau de productivité devient identique et il peut réclamer l’alignement de sa rémunération sur celle des insiders, devenant ainsi l’un d’eux. Plus le statut des entrants est réglementé [[Par exemple, l’interdiction d’enchaîner les embauches en CDD, ou l’obligation de rémunérer les apprentis et les stagiaires à des salaires plus bas que les employés en CDI.]], moindre est leur menace concurrentielle sur les insiders.
Ces éléments cernent bien la situation de l’emploi en France. On voit ainsi dans le tableau, par exemple, que le niveau de protection de l’emploi en France s’accompagne d’un chômage plus élevé que dans des pays qui offrent plus de flexibilité – sauf l’Italie car presque aussi rigide que la France. Plusieurs études recensées par Zylberberg, Cahuc et Boeri (2015) et Cahuc et Zylberberg (2015) corroborent bien ce lien entre protection de l’emploi conçue de façon rigide et absence de création d’emplois.
Une conséquence majeure de la rigidité de la protection de l’emploi est l’exclusion des chômeurs les moins productifs, surtout les moins expérimentés. En effet, l’embauche d’un insider se justifie par la productivité élevée de celui-ci, visant notamment à compenser les coûts de renouvellement implicites au système. Par conséquent, un candidat à l’emploi peu productif voit diminuer ses chances d’entrer sur le marché et risque de passer une longue période au chômage. Sur le graphique 1, on observe bien qu’en France les personnes les plus jeunes sont davantage exposées au chômage que les seniors.
En effet, les seniors semblent moins exposés au chômage à cause de leur plus grande expérience et leur proximité avec l’âge de la retraite. Les seniors qui rencontrent des difficultés dans le marché du travail peuvent partir à la retraite, contrairement aux plus jeunes. Par conséquent, les seniors qui restent actifs sont généralement ceux dont l’expérience et les compétences accumulées se traduisent par une productivité suffisamment élevée pour justifier leur embauche.
Le taux de chômage selon le niveau de formation et le nombre d’années après la formation initiale (graphique 2) est aussi un indicateur de ce que les outsiders en France sont largement composés de jeunes travailleurs avec peu d’expérience. Les personnes les moins bien formées sont plus exposées au risque de chômage, mais ce risque diminue considérablement avec l’expérience. C’est surtout le cas des travailleurs les moins diplômés. Leur taux de chômage baisse de 72,22 % passant de 52,2 % à 14,5 % avec l’expérience, tandis que les diplômés intermédiaires et supérieurs voient une baisse de 67,07 % et de 61,02 % respectivement.
On observe donc en France que les plus jeunes, bien formés ou pas, sont les plus négativement concernés par la rigidité de la protection de l’emploi. En effet, plus la législation renforce le pouvoir de monopole des insiders, travailleurs avec expérience et plus âgés, plus faible est la capacité des jeunes travailleurs français de les concurrencer. La peur de perdre sa position d’insider explique le peu de mobilité sur le marché du travail en France, ce qui renforce son manque de dynamisme. En outre, les innovations technologiques et organisationnelles qui, dans d’autres conditions, auraient pu permettre un plus grand dynamisme du marché, servent uniquement à intensifier la concurrence entre outsiders et nouveaux entrants, ce qui accentue la précarité des jeunes travailleurs. En conséquence, on observe un cumul pas toujours justifié de formations, l’expatriation et même une création d’entreprise assez précaire, ce qui repousse l’âge d’accès au premier emploi en France et renforce la précarité de ces outsiders.
Le cloisonnement entre insiders et outsiders crée un marché du travail à deux vitesses. D’un côté, les insiders disposent des contrats protégés et, de l’autre, les outsiders-entrants s’insèrent à la marge dans le système grâce à des contrats flexibles. On observe en effet un usage accru des contrats à durée déterminée (CDD) pour contourner des contrats à durée indéterminée (CDI) trop protégés. La France dépasse à cet égard tous les autres pays du tableau pour toutes les tranches d’âge sauf celle des 55-64 ans.
Quelles réformes pour le travail de demain ?
Le plus grand problème de la rigidité de la protection de l’emploi est qu’elle crée, aussi bien pour les employés que pour les employeurs, de mauvaises incitations. Quand une entreprise embauche un salarié en CDI, c’est évidemment parce qu’elle anticipe que sa productivité sera supérieure aux coûts associés à son statut. Ce faisant, le statut d’insider créé un aléa moral puisqu’il devient possible pour un tel salarié de diminuer sa productivité sans nécessairement en subir les conséquences. Tant que cette perte de productivité reste inférieure aux coûts de remplacement de l’employé, l’entreprise préférera le garder plutôt que de le remplacer. Une entreprise ainsi impactée pourrait alors modifier sa politique d’embauche future en favorisant des solutions plus flexibles comme les CDD ou l’intérim. Si la rigidité touche à son tour ces solutions en principe plus flexibles, l’entreprise aura deux issues. Soit favoriser l’automatisation afin de réduire ses coûts salariaux si son marché exige de rester à proximité de ses clients. Soit simplement délocaliser sa production, voire son siège social. Le marché du travail local est donc perdant dans les deux cas.
Les insiders ne sortent pas indemnes de cette situation. Dans l’incapacité d’avoir recours à une flexibilité externe, l’entreprise pourra la chercher en interne avec une rationalisation de leurs activités. Elle pourrait, par exemple, réorganiser leurs horaires ou les inciter à faire des heures supplémentaires. Une autre possibilité est de leur imposer d’être flexible quant aux fonctions qu’ils occupent de façon à augmenter leur productivité sans que leur statut ne change nécessairement. Dans tous les cas, les outsiders sont encore une fois pénalisés, car les activités de l’emploi se focalisent sur les insiders à leur détriment.
Ajoutons une dimension importante à prendre en compte au sujet du marché français, à savoir que les insiders étant majoritaires, ils risquent de sanctionner électoralement toute tentative de réforme visant la rigidité de la protection de l’emploi dont ils pensent bénéficier à juste raison (Saint-Paul, 1993). Ce problème d’ordre politique conduit à favoriser des réformes conjoncturelles insuffisantes eu égard à la situation française.
Un petit tour d’horizon des réformes mises en œuvre en Europe peut permettre d’éclairer le débat en France. Les pays de l’Europe du Nord qui ont su mettre en œuvre des réformes structurelles avant la crise de 2008, ont mieux supporté la récession qui l’a suivie (COE, 2015, 85ff. et graphique 4). L’Allemagne, par exemple, voit même son chômage baisser de façon soutenue pour atteindre des niveaux plus bas qu’avant crise. Le Danemark, la Suède et le Royaume-Uni sont, quant à eux, en passe de retrouver un niveau de chômage pré-crise. À l’inverse, les pays du Sud, plus réfractaires aux réformes structurelles, ont généralement très mal supporté la crise, avec des hausses du chômage de 50 à 100 % au Portugal, en Italie et en Espagne. Le chômage en France s’est maintenu à un niveau pratiquement constant, mais le pays a du mal à le faire baisser comme dans les pays du Nord de l’Europe.
La différence entre les deux groupes de pays se trouve dans la nature des réformes mises en place. La plupart des réformes menées par l’Italie, l’Espagne et le Portugal ont conduit à rapprocher leur marché du travail du modèle français, au final un peu moins rigide que dans ces pays. À partir de 2012, ces trois pays ont cependant mis en œuvre de timides réformes structurelles avec un assouplissement des règles de licenciement et une révision des indemnités, tout en facilitant le recours au travail temporaire. Dès 2014, cela a permis de faire baisser le chômage, qui reste néanmoins partout plus élevé qu’avant 2008.
C’est avant la crise que les pays de l’Europe du Nord mettent un fort accent sur la flexibilité des contrats (voir graphique 4) et une refonte de l’aide au retour à l’emploi, de façon à éliminer le chômage de longue durée. L’Allemagne et le Danemark sont souvent cités en exemple.
Au Danemark, sous les effets d’une grave crise financière et immobilière dans les années 1990, le chômage atteint 10 % des actifs en 1994. Pour résoudre le problème, le gouvernement met en place un système de « flexisécurité » basé sur trois piliers : 1) une protection de l’emploi plus limitée (les justifications du licenciement incluent dorénavant l’incompétence et la redondance économique, les périodes de préavis sont raccourcies, les indemnités de licenciement sont plafonnées) ; 2) une allocation-chômage relativement généreuse avec une prise en charge simplifiée et immédiate du chômeur dès le premier jour de chômage, 90 % du revenu assuré (plafonné à 2 407 euros/mois), forte dégressivité jusqu’à deux ans ; et 3) une aide de retour à l’emploi de type workfirst, visant la réintégration rapide par le biais de formations obligatoires axées sur les besoins des entreprises plutôt que les souhaits des chômeurs et la suspension des allocations en cas de refus d’une offre raisonnable d’emploi.
La France, par contre, offre l’assurance-chômage la plus généreuse d’Europe. La durée de cotisations qui ouvre droit aux allocations-chômage est de quatre mois contre au moins un an dans le reste de l’Europe. Le plafond d’indemnités en France est aussi très élevé, autour de 6 125 euros/mois, presque trois fois qu’ailleurs en Europe. En outre, l’aide au retour à l’emploi en France est peu incitatif, du fait d’une dégressivité des indemnités lente et d’un service de suivi à la recherche d’emploi peu performant où le chômeur français peut facilement refuser les offres raisonnables d’emploi.
Si ces réformes structurelles ont permis au Danemark de faire passer le chômage sous la barre de 6 % jusqu’en 2008 (graphique 3), elle reste néanmoins coûteuse eu égard à la générosité des allocations et au financement des politiques d’aide de retour à l’emploi. Reste que celles-ci ont permis de neutraliser d’une certaine manière le problème politique posé par les insiders. Les dépenses publiques pour le chômage y représentent 3 % du PIB danois (contre 1,5 % en France). Ceci rend difficile de transposer le système danois à la France car il faudrait alors envisager une réduction considérable des dépenses publiques dans d’autres domaines pour éviter l’augmentation du déficit public.
Le modèle allemand propose une alternative intéressante au système danois, en particulier pour ce qui est du problème politique posé par les insiders. Début 2000, le chômage en Allemagne est en hausse. Il dépasse la barre des 10 % en 2005. Les réformes Hartz, basées sur les recommandations de la commission d’études dirigée par Peter Hartz, sont mises en place entre 2003 et 2005. Au lieu de renforcer la générosité des allocations-chômage, l’Allemagne a préféré les rationaliser et renforcer toutes les incitations visant à la reprise d’un emploi. Ainsi, la durée des allocations-chômage a été limitée à un an maximum et elles ont été plafonnées à 2 215 euros/mois. Elles représentent environ 63 % des revenus du dernier emploi. La mise en place de job centers où les formations sont rendues obligatoires et l’organisation régulière de foires de l’emploi facilite les rencontres entre employeurs et employés. Les allocations pour chômage de longue durée ont aussi été baissées en même temps qu’étaient fortement réduites les cotisations patronales sur les emplois à temps partiel (mini- et midijobs), ce qui incite fortement à la reprise de l’emploi. La réglementation sur les emplois temporaires a été assouplie, avec la possibilité de recourir à des CDDs pendant 4 ans pour les start-ups et pour les travailleurs seniors. Concernant les insiders allemands, la réforme la plus emblématique a permis de moduler les horaires de travail pendant l’année, afin d’adapter le travail à la charge de travail sur l’année, ceci sans toucher aux droits des insiders. Résultat : une dépense publique dédiée aux politiques de lutte contre le chômage qui reste à environ 1,1 % du PIB en Allemagne, bien en dessous des 3 % danois, et un taux de chômage inférieur à celui d’avant-2008.
La crise de 2008 a permis de tester la résilience des marchés du travail en Europe. Seule l’Allemagne a réussi à éviter le pire. Elle a même réussi à améliorer sa situation par rapport à ses voisins et à sa situation avant la crise. Le modèle allemand s’est montré le plus robuste. Il est courant d’entendre à ce sujet que cela s’est accompagné d’une plus grande précarité des travailleurs à temps partiel. Cette critique n’est pas totalement fondée car il faut bien réaliser que l’alternative aux mini- et midijobs aurait été le chômage de longue durée. Les chômeurs en situation précaire évitent la stigmatisation du chômage de longue durée et en continuant à être actifs, ils se donnent la possibilité d’obtenir un meilleur emploi à terme. Avec l’introduction d’un salaire minimum universel en Allemagne, nombre de ces contrats temporaires à temps partiel ont été transformés en contrats permanents au niveau du nouveau salaire minimum allemand. Reste à voir si ce salaire plancher ne se retournera pas contre l’économie lors d’une prochaine crise.
En conclusion, si la France veut adapter son marché de travail aux évolutions technologiques et organisationnelles, les idées ne manquent pas. Certaines réformes exigent un effort budgétaire, mais elles ont le mérite de répondre aux craintes des insiders. D’autres réformes parviennent à modifier en profondeur le marché du travail tout en évitant cet écueil et en favorisant la flexibilité pour les entreprises. On sait aujourd’hui que certaines réformes réduisent le chômage. Reste à savoir s’il sera possible de les mettre en œuvre en France avant qu’on y soit contraint par une situation extrême.
Gabriel A. Giménez Roche est professeur associé et responsable du département Finance, économie et droit au Groupe ESC Troyes en Champagne et chercheur associé à l’Institut économique Molinari.
Bibliographie
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