Institutions : l’expérimentation au cœur du progrès
Texte d’opinion publié le 30 mai 2017 dans La Tribune.
L’économiste Douglass C. North est l’auteur d’un livre passionnant sur le processus du changement économique. Ce lauréat du prix Nobel d’économie 1993 a lancé il y a une cinquantaine d’années un courant de pensée visant à renouveler l’analyse des institutions. Son livre de 2010 foisonne d’informations, idées et réflexions utiles pour mieux comprendre la situation actuelle. Son analyse sur les sociétés qui parviennent à se maintenir sur un sentier de croissance économique est particulièrement stimulant. Ces sociétés, nous dit-il, sont celles qui sont capables de s’adapter au changement ou plus précisément celles au sein desquelles les individus sont capables d’ériger un cadre institutionnel flexible.
Un monde incertain
North part du constat que nous vivons dans un monde incertain. Cette incertitude qui caractérise nos vies ne peut pas être éliminée. Elle est irréductible, on n’a aucun moyen de s’assurer contre elle. Il faut vivre avec. Si nous avons réussi au cours des derniers siècles à réduire très fortement l’incertitude liée à notre environnement physique en nous assurant contre les incendies, en développant des remèdes contre les maladies infectieuses, en augmentant la productivité agricole, l’incertitude liée à nos interactions avec d’autres humains a, quant à elle, explosé.
Partant de cette prémisse – notre futur est incertain -, en particulier du fait de nos nombreuses interactions avec nos semblables, il cherche à comprendre comment certaines sociétés gèrent mieux finalement cette incertitude, liée à la nouveauté, que d’autres.
Règles du jeu
Pour ce faire, il nous pousse à nous interroger sur les règles du jeu qui prévalent au sein des groupes. Ces règles définissent, par exemple, les incitations qu’il peut y avoir à se lancer dans des activités productives ou pas. Elles posent le cadre des gains que l’on peut espérer faire dans un échange. Elles posent des limites au pouvoir politique, etc.
Ces règles du jeu, ce sont les institutions, ces contraintes que nous nous imposons dans nos interactions avec les autres. Elles comprennent aussi bien des règles formelles comme nos constitutions, nos lois, nos réglementations que les règles informelles comme les conventions, les normes ou codes de conduite et aussi les conditions de leur mise en application.
Capacité de résilience
Pour North, la performance économique va dépendre du caractère dynamique du cadre institutionnel en place, lui-même hérité du passé. Car si on accepte que le changement est permanent et que la nouveauté est omniprésente, on ne peut pas prétendre que les institutions du présent seront nécessairement à même de répondre aux défis futurs. Face aux changements technologiques, à l’appropriation de nouvelles connaissances, à la nécessité d’intégrer encore et toujours des savoirs dispersés entre des milliards de gens spécialisés, nos institutions doivent montrer une très grande capacité de résilience.
Cette résilience doit se fonder sur une grande humilité à l’égard de notre faillibilité. Non seulement, nous ne connaissons pas à l’avance les problèmes que nous aurons à résoudre demain. Mais en plus, une fois confrontés à un problème, nous n’en connaissons pas forcément la solution. Face à ces situations, nos réactions ne sont pas forcément les plus rationnelles ou scientifiques. Nous nous fondons sur nos croyances – plus ou moins étayées – pour faire face. Le risque majeur que nous courons est qu’une croyance fausse s’impose et nous pousse à mettre en œuvre des solutions inefficaces.
Il nous faut donc des mécanismes de rappel, des cadres institutionnels au sein desquels les résultats de certaines croyances peuvent être évalués à la lumière des résultats d’autres croyances, et les mauvais résultats éliminés.
Concurrence
C’est ce qui conduit Douglas C. North à défendre une idée chère à de nombreux économistes, celle de la concurrence. Dans un monde changeant, il faut arriver à maintenir des institutions qui permettent d’expérimenter, de faire des essais, des erreurs, de corriger le tir. Pour ce faire, on a besoin qu’existent une variété d’organisations et d’institutions permettant de tester des croyances, des idées, des technologies, des méthodes différentes. Et il faut bien sûr des mécanismes qui permettent d’éliminer les échecs. C’est ce qu’on appelle parfois la concurrence institutionnelle. Là où subsiste un certain dynamisme institutionnel, l’expérimentation se poursuit. La société qui préserve ce cadre, se donne de meilleures chances de faire face aux défis de demain, au contraire de celle qui se fige.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.