Un paradoxe français : pourquoi la concurrence survit dans des secteurs très régulés
Texte d’opinion publié le 1er juin 2017 dans Le Figaro Vox.
Récemment, j’apprends la création, à proximité de mon domicile, d’une nouvelle école à la pédagogie Montessori. École privée 100% hors contrat, cette nouvelle institution se donne pour objectif de ne pas « figer les pédagogies » et, au contraire de faire en sorte qu’elles continuent d’évoluer et être en contact avec la réalité. La création de cette école est, selon moi, un exemple de cette dynamique institutionnelle qui explique en partie le paradoxe français. La France est un pays qui va mal. Mais bon an mal an, les choses continuent à fonctionner. Comment l’expliquer ?
Dans le cadre de mes activités à l’Institut Molinari, je pointe souvent du doigt le taux de chômage qui en France atteint les 10%, dépassant largement celui de l’ensemble des pays de l’OCDE ; la fiscalité écrasante qui fait de la France le dernier pays dans notre classement annuel « le jour de libération fiscale et sociale » ; cet endettement public qui persiste depuis des années. C’est certain, la France est mal positionnée dans un grand nombre de classements. Mais ce n’est qu’une partie de la réalité.
En effet, la Société bloquée que Michel Crozier décrivait dans son livre en 1970, n’en continue pas de défier les pronostics les plus pessimistes concernant son avenir depuis près d’un demi-siècle. Evidemment, les choses sont peut-être sur le point de changer, mais il peut être intéressant de comprendre ce qui explique, ou a pu expliquer, la résilience de la société française.
L’économiste canadien Pierre Lemieux s’est attelé à cette tache dans un article publié à l’automne 2016. Il constate notamment qu’en dépit de réglementations très contraignantes, les Français parviennent d’une façon ou d’une autre à les contourner.
Cette approche a du sens. Je pense que si la France va moins mal qu’on le dit souvent, c’est sans doute parce que notre pays a su préserver un degré de concurrence institutionnel important dans des domaines clés.
Par exemple, dans le domaine éducatif, on souligne souvent les piètres résultats de l’éducation nationale. Mais en même temps, nombre d’entreprises internationales continuent de vouloir s’installer en France en soulignant la qualité de la main d’œuvre qu’on y trouve. Une explication possible vient sans doute de ce que le système éducatif, à y regarder de près, n’est pas aussi monolithique qu’on veut bien le croire. En effet, en son sein, on trouve une relative diversité d’institutions qu’il s’agisse des écoles hors contrat ou indépendantes, d’écoles privées sous contrat, d’écoles publiques, d’universités, écoles d’ingénieurs ou de commerce. Cette relative concurrence parmi ces diverses organisations permet une expérimentation bénéfique. Au global le système n’est pas parfait – loin s’en faut – mais la concurrence éducative aide à préserver des offres performantes avec des ilots de très grande qualité.
Dans un secteur différent mais tout aussi important en France, celui de la santé, on observe le même phénomène à l’œuvre. S’il existe un monopole de la Sécurité sociale, force est de constater que du côté de l’offre de soins, il existe encore de nos jours un foisonnement d’organisations et d’institutions capables d’offrir une palette diversifiée de prestations. Une médecine libérale bien développée et une offre hospitalière duale, s’appuyant sur le public et le privé, ont pendant longtemps été nos meilleurs atouts. Malheureusement, le système se transforme progressivement depuis 1996, en une organisation de rationnement bureaucratique des soins, à l’image de ce qui se pratique en Angleterre ou au Canada. Là encore, si l’on reconnaissait ce que l’on doit au caractère dynamique du cadre français, la politique de maîtrise comptable des coûts serait immédiatement abandonnée au profit de politiques misant sur les vrais atouts inhérents à notre tradition concurrentielle.
Les exemples sont nombreux de cette concurrence – pas toujours visible mais belle et bien présente – entre différentes institutions ou façons de faire. Dans le domaine de la garde des enfants, on observe aussi cette diversité. Non contents d’avoir des offres publique et privées de crèches, nous avons aussi pléthore d’assistantes maternelles agrées et de nounous pouvant garder nos bambins quand nous sommes au travail. Une diversité que nos voisins allemands nous envient.
Ce qui est peut-être plus souvent prégnant, ce sont les tensions qui existent entre ces organisations qui se font concurrence. Le danger – pour un pays comme la France – serait de vouloir trancher dans le vif de ces institutions et de réduire cette diversité. Il est parfois tentant de la bâillonner pour privilégier des notions telles que la lisibilité, la recherche de cohérence ou de prétendues économies, mais ce serait s’appauvrir à long terme.
Au final, si paradoxe français, il y a, il est peut-être dans cette capacité de notre pays à avoir préservé un minimum de concurrence au sein de secteurs, par ailleurs, très régulés. Le défi à relever aujourd’hui est de ne pas céder aux tentations d’harmoniser ou de rigidifier les choses, sous prétexte qu’une organisation plus homogène et centralisée serait plus efficace, mais de laisser faire cette concurrence bénéfique.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.