Sommes-nous sortis du chômage de masse?
Texte d’opinion publié le 15 juin 2017 dans La Tribune.
Les bonnes nouvelles s’accumulent, en particulier du côté de l’emploi avec 284.100 postes créés sur un an. L’économie française connaît une nouvelle création nette d’emplois dont on ne peut que se réjouir dans un pays durement frappé par le chômage de masse. La question est évidemment de savoir si les choses vont, et peuvent, durer et dans quelles conditions.
En effet, la création d’emplois est le résultat d’anticipations positives de la part d’entrepreneurs qui font le pari, d’une part, que la conjoncture est plutôt bonne et, d’autre part, que le cadre réglementaire et fiscal est propice ou le sera.
Conjoncture favorable
Du côté de la conjoncture, l’avenir reste incertain sur le plan politique avec le Brexit, une présidence américaine mouvementée, des attaques terroristes etc. Mais, par ailleurs, les marchés financiers sont stables avec des taux d’intérêt faibles, la politique monétaire européenne reste accommodante et du côté de l’énergie, les prix pourraient continuer leur stabilisation. Un bilan plutôt favorable donc.
Côté réglementaire et fiscal, il faut bien réaliser que s’il la création nette d’emplois en France est une bonne nouvelle, il ne faut sans doute pas surestimer le phénomène à ce stade. Si on veut que la chose se pérennise voire s’intensifie au point de faire baisser durablement le taux de chômage, il va falloir assouplir le cadre.
Car pour que des entrepreneurs embauchent massivement, il faut, d’une part, qu’ils voient les moyens de mettre en œuvre leur stratégie et, d’autre part, qu’ils puissent en tirer profit. D’un côté, il faut assouplir le cadre réglementaire et de l’autre, faire en sorte que leurs efforts soient récompensés. Réformes fiscales et réforme du marché du travail sont donc eu cœur du sujet.
Le problème de l’endettement de l’Etat
Ce qui rend sans doute la chose difficile à mettre en œuvre en France, c’est que l’Etat fait des déficits depuis des décennies et s’est donc fortement endetté. Il peut difficilement acheter à coup de deniers publics le soutien de ceux qui pourraient se sentir « perdants » dans le processus de réforme.
Nombre de commentateurs ont tendance à sous-estimer les effets pervers d’un déficit et d’une dette publics importants. Pourtant, ceux-ci nous rendent dépendants de taux d’intérêt faibles et réduisent les marges de manœuvre. Il va falloir réformer sans que cela coûte trop cher.
Un cas emblématique est celui du marché du travail. Des réformes bien plus ambitieuses que ce qui a déjà pu être fait sont nécessaires si on veut réduire de façon durable le chômage. Outre les 37 professions réglementées en France qui limitent la concurrence dans ces domaines, le travail en France est cloisonné entre ceux qui bénéficient d’un CDI (les insiders) et ceux qui sont au chômage (les outsiders). Les premiers sont extrêmement protégés par un système qui s’articule autour d’un Smic élevé, de charges sociales les plus élevées de l’Union européenne, de prestations sociales et allocations chômages très généreuses. Le tout crée un cadre très protégé autour du détenteur du CDI alors que celui qui en est dépourvu supporte toute l’insécurité du marché du travail.
Système injuste et inefficace
Il apparaît assez évident que ce système est injuste (outre d’être inefficace) et qu’il est crucial de rétablir un équilibre. Plus facile à dire qu’à faire dans un pays où les détenteurs de CDI constituent encore aujourd’hui la majorité des employés et pourraient sanctionner les velléités visant à réduire ses protections. Le Danemark a réussi à mettre en place des réformes visant les employés les plus protégés mais cela coûte cher à l’Etat (3% du PIB). L’Allemagne a, quant à elle, privilégié la flexibilité côté outsiders en limitant le montant et la durée des allocations-chômage, en assouplissant le recours au travail temporaire, en organisant des foires à l’emploi sans remettre sérieusement en cause les droits des insiders.
La France va devoir trouver son chemin au milieu de ce parcours difficile. Une chose est certaine, la poursuite de la création nette d’emplois dépend d’une plus grande flexibilité du marché du travail qu’il s’agisse des aspects réglementaires (durée du travail, conditions d’embauche et de licenciement, etc.) ou des aspects fiscaux.
Et c’est là l’un des plus grands défis de la réforme en profondeur du marché du travail, c’est que le système de financement de la protection sociale française (santé et retraite) repose en grande partie sur le travail d’où son coût élevé (87% de la pression fiscale et sociale pesant sur le salarié moyen) et prohibitif.
Il ne suffira donc pas de déréglementer pour libérer le travail. Il va surtout falloir penser les choses différemment pour économiser l’argent public. Travail, santé, retraites, voilà autant de sujets qu’il sera nécessaire de traiter, organiser et coordonner au milieu des résistances et de contraintes. De quoi satisfaire l’appétit d’un gouvernement ambitieux !
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.