Épargner pour épargner les retraités
Texte d’opinion publié le 18 septembre 2017 dans La Tribune.
Certains se demandent si les retraités sont devenus une cible de choix pour le nouveau gouvernement et jusqu’où cela ira. L’exécutif a annoncé plusieurs réformes de nature à pénaliser leur niveau de vie : augmentation de la CSG, non déductibilité de cette hausse au titre de l’impôt sur le revenu, mise en place du Prélèvement forfaitaire unique sur l’épargne, durcissement de la fiscalité sur l’assurance vie… La succession d’annonces négatives est de nature à générer un sentiment anxiogène chez nos ainés. Elle donne lieu aussi à une tentation, classique : analyser en termes superficiels un sujet économique et sociétal de fond. Car nous savons tous qu’au gré des alternances, les pouvoirs publics organisent la réduction du pouvoir d’achat des retraités. L’enjeu est davantage de savoir à quel rythme, avec quelles marges d’anticipation et surtout avec quelles échappatoires.
Le besoin d’un cadre fiscal stable
Ces questions sont particulièrement importantes pour les retraités. Ils constituent une catégorie de la population doublement dépendante des décisions publiques, modifiant à la fois leurs charges et leurs recettes. En retrait de l’activité économique productive, les retraités ne peuvent pas amortir les hausses de prélèvements obligatoires de la même façon que les actifs. Dans leur situation, pas question de chercher à faire des heures supplémentaires, à négocier une augmentation de salaire ou à changer de travail… c’est trop tard pour eux. Ils n’ont plus d’autre marge d’ajustement que de baisser leurs dépenses pour faire face aux hausses d’impôts. Voyager moins, passer de la maison à un appartement, partir dans un pays du sud, chercher un job, voilà leurs échappatoires. C’est pourquoi les retraités ont particulièrement besoin d’un cadre fiscal stable. Ils ont fait leurs calculs économiques il y a bien longtemps et craignent, plus que tous, les hausses d’impôts.
Les retraités français sont aussi particulièrement dépendants des pouvoirs publics en termes de revenus. Comme le souligne le Conseil d’orientation des retraites, « la France se singularise par le fait que les ‘transferts publics’ (au premier rang desquels figurent les retraites obligatoires par répartition) représentent l’essentiel des ressources des ménages âgés de plus de 65 ans ». La plupart de nos retraités sont pénalisés par un manque d’épargne retraite, collective personnelle. On se souvient que notre système social a été reconstruit au milieu du siècle dernier autour d’une primauté de la répartition, à une époque où l’on dénombrait près de 3 enfants par femme. Ce choix est devenu mécaniquement pénalisant avec moins de 2 enfants par femme (1,93 en 2016) et une croissance faible.
Un vrai cercle vicieux
La répartition consomme chaque année de l’ordre de 14% du PIB, pris aux actifs pour financer les retraités. Elle est devenue un problème dans la mesure où elle génère une fiscalité excessive, chaque euro distribué devant être pris à quelqu’un d’autre. D’où des prélèvements plus élevés qu’en capitalisation, des régimes recevant des cotisations bien moindres (de l’ordre de 30 ou 40 centimes) dégageant à terme ce même pouvoir d’achat. D’où l’importance et la crispation autour de nos cotisations sociales, contribuant à la persistance d’un chômage élevé. Un vrai cercle vicieux.
Les réformes des 20 dernières années, visant à contenir les dépenses, ont réduit l’intérêt de la répartition. La démarche la plus efficace en la matière a été l’indexation des retraites sur les prix, au lieu des salaires. En 2010, elle permettait de réduire les dépenses de retraite de 1,2 % du PIB (alors que les autres modifications opérées depuis 1993 représenteraient une économie de 0,8 % du PIB). Les projections de l’INSEE montrent qu’elle permettrait d’économiser entre 4 et 6 % du PIB en 2060, plus que toutes les économies résultant des modifications d’autres paramètres (recul de l’âge de la retraite…). Cette modification des règles d’indexation appauvrit mécaniquement les retraités par rapport aux actifs, ces derniers bénéficiant d’augmentations de salaires supérieures à la progression des prix. En 2060, la pension de retraite moyenne représenterait entre 48 % et 57 % du salaire moyen, contre 66 % aujourd’hui. Des chiffres qui devraient conduire à considérer avec précaution les éléments de langage présentant les retraités comme relativement « nantis », avec des revenu réels représentant environ 105 % de ceux des actifs.
Depuis 2005, le régime général fonctionne grâce à l’endettement
En parallèle, nos gouvernements ont laissé dériver notre système de retraite, en sortant de l’épure que constitue la répartition. Le régime général a pris l’habitude de fonctionner grâce à l’endettement depuis 2005. Une anomalie par rapport aux régimes de base étrangers par répartition, Etats-Unis en tête, qui avaient pris soin de constituer des réserves.
C’est pourquoi, au-delà des mesures d’ajustement fiscales, le nouveau gouvernement compte refondre le fonctionnement du régime général, en adoptant un fonctionnement par points facilitant l’équilibrage des comptes. Au lieu de faire face à des ajustements brutaux, ce type de mécanisme permet – au fil de l’eau – d’ajuster les dépenses (les pensions) aux rentrées (les cotisations). Notons que ce n’est qu’un mécanisme de gouvernance du rationnement, visant à répartir la pénurie avec moins d’à-coups. Cette réforme ne résoudra en aucun cas le problème posé par la baisse de la fécondité dans une contexte de sous-développement français en épargne retraite. L’Agirc et l’Arrco fonctionnent avec des points et cela n’a pas empêché l’érosion de leurs prestations, érosion qui s’accélère avec l’assèchement de leurs réserves.
Le risque d’amplifier les clivages et les crispations
Plus que jamais l’enjeu sociétal est de donner la possibilité aux actifs d’aborder la retraite avec le matelas d’épargne leur permettant d’arrêter de travailler sans craindre des lendemains qui déchantent. Espérons que le gouvernement ne fera pas l’impasse sur cette problématique de fond. La solution ne viendra pas de jeux de bonneteau ou mistigris entre actifs et retraités, de tentatives d’optimisation de la répartition du fardeau entre les uns et les autres. Bien au contraire, ces ajustements risquent d’amplifier les clivages et les crispations. L’enjeu est de permettre au plus grand nombre de capitaliser pour la retraite, en garantissant notamment une fiscalité la plus avantageuse pour les solutions d’épargne existantes ou à venir.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari, Nicolas Marques est chercheur associé à l’IEM.