Glyphosate ou nucléaire : que faire au-delà de la peur ?
Texte d’opinion publié le 24 novembre 2017 dans La Tribune.
En annonçant le report de l’objectif de ramener à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité, Nicolas Hulot a renoncé à sa conviction initiale par réalisme. Le ministre a cessé de croire qu’il existe une technique parfaite. Mais cette logique n’a pas été suivie pour le glyphosate, ce désherbant accusé d’être cancérigène, malgré des études minimisant un tel risque. Le ministre n’a pu bannir son usage dans l’agriculture. Il devra attendre 3 ans avant peut-être d’y… renoncer.
Voilà quelques années que l’utilisation de la molécule glyphosate comme désherbant fait polémique au point qu’aujourd’hui les membres de l’Union européenne (UE) ne parviennent pas à trouver un accord. Faisant l’objet d’un protocole d’autorisation au sein de l’UE, son homologation devait être renouvelée en juin 2016. Faute d’une majorité qualifiée lors du vote, la Commission avait alors décidé de reconduire de 18 mois son homologation. Lors du vote le 9 novembre dernier, cette majorité n’a encore pas pu être trouvée. Un nouveau vote est prévu le 27 novembre.
En France, il est prévu d’interdire l’utilisation du glyphosate par les particuliers d’ici le 1er janvier 2019 et il serait question de l’interdire à tous les usages. Cela ne suffit cependant pas à notre pays qui veut étendre l’interdiction à terme à toute l’UE. Pour ce faire, nos gouvernants ne sont prêts à accepter sa prolongation que pour les 3 prochaines années. Elles seraient suffisantes pour organiser la sortie du produit en question. Le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot s’est ainsi dit « fier » que la France ait « tenu bon » lors du vote du 9 novembre.
Mais faut-il tenir bon ? À l’instar du nucléaire, est-il possible et surtout raisonnable de sortir du glyphosate en aussi peu de temps ?
Un choix pas forcément simple
Récemment, l’ancien ministre de l’Environnement Brice Lalonde, a salué la programmation plus réaliste de son homologue au gouvernement concernant le nucléaire. En effet, Nicolas Hulot a annoncé début novembre le report de l’objectif consistant à ramener à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité. Le militant Hulot aurait pu choisir de démissionner pour rester en phase avec ses croyances. Il a choisi de rester ministre et de subir les affres des commentateurs qui ont été nombreux à l’accuser de reculer, de capituler.
Ce choix n’a pas forcément été simple car nous subissons tous l’influence puissante du biais cognitif selon lequel plus on a investi dans une idée, plus il est difficile d’y renoncer. L’erreur intellectuelle n’entraîne pas à proprement parler de faillite intellectuelle si bien qu’il est possible de rester dans l’erreur pendant longtemps et même de s’y complaire. Sans doute le fait d’endosser le rôle de ministre a obligé Nicolas Hulot à prendre en compte des considérations plus larges comme l’absence de substituts à court terme, l’innovation dans le nucléaire, l’impossibilité de trouver une technique parfaite.
Il me semblerait judicieux qu’il adopte ce principe de réalisme quand il est question de glyphosate. Car les questions qui se posent pour le désherbant sont les mêmes que celles qui se posent pour le nucléaire ou pour toute autre technologie complexe : quels sont les services rendus par le produit en question et à quel prix ? peut-on s’en passer ? existe-t-il des substituts ? offrent-ils des avantages comparatifs supérieurs ?
Avantages environnementaux
L’utilisation du glyphosate permet d’éliminer les mauvaises herbes sans recourir à la pratique du labourage. Ceci a des avantages environnementaux importants puisque cela préserverait la qualité des sols, l’humidité et la teneur en carbone. Cela aurait l’effet bénéfique de soutenir la vie des vers de terre et insectes qui participent à l’efficacité du drainage et à la biodiversité. Tout cela sans diminuer les rendements grâce auxquels nombre de terres sont épargnées de culture. La culture bio, quant à elle, ne peut se passer de la pratique du labourage.
Le glyphosate est aujourd’hui un produit qui fait peur car, en 2015, une étude du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), dépendante de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a identifié un risque cancérogène au même titre que les boissons alcoolisées ou la charcuterie désignée sous le terme « viande transformée ». Seront-ils les prochains sur la liste des produits à interdire ?
Depuis, des informations publiées par Reuters en octobre dernier ont entaché la crédibilité de l’étude en question. Dans le même temps, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) concluait en mars dernier que le composant ne devait pas être classé comme un cancérigène potentiel. Cela fait écho au positionnement de nombreuses agences dont l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui juge le risque cancérogène « improbable », ou de l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques qui, après évaluation de 3.000 études sur le sujet, juge qu’il n’existe pas de preuve de toxicité pour les êtres humains exposés à des doses réalistes.
Quels substituts à ce désherbant?
Peu nombreux sont ceux qui sont prêts à renoncer aux rendements obtenus par un mix complexe d’engrais, pesticides, semences, techniques, innovations, etc. Par conséquent, vouloir interdire le glyphosate, c’est considérer qu’il existe des substituts qui offrent au moins les mêmes bénéfices au global : rendement, prix, atouts environnementaux, risques pour la santé, etc. Or, les débats ne portent pas suffisamment sur cette question : par quoi allons-nous substituer ce désherbant ?
Dans ce cas comme dans celui du nucléaire, il faut faire preuve de réalisme et cesser de croire qu’il existe une technique parfaite. Il n’y a que des choix plus ou moins bénéfiques présentant plus ou moins d’inconvénients. En l’état actuel du débat, il n’est même plus possible de poser ces questions sereinement et de tenter d’y répondre de manière constructive. C’est sans doute cela le courage en politique : savoir renoncer quand c’est nécessaire à une vision étroite pour embrasser une vision plus large qui prend en compte la complexité de nos sociétés. La France devrait cesser de s’opposer au renouvellement de l’homologation du glyphosate au sein de l’UE.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.