Chômage, maquiller ou changer la réalité
Texte d’opinion publié le 8 février 2018 dans La Tribune.
Nombre d’indicateurs et de classements internationaux pointent le mauvais rang de la France en matière de marché de travail. Même s’ils sont loin d’être parfaits, leur convergence montre la réalité de la situation. Et plutôt que d’atténuer l’impact négatif de cette mauvaise performance, les autorités politiques devraient mener une véritable réforme.
Connu sous le nom de Doing business, le rapport annuel de la Banque mondiale classe 190 pays en fonction de la facilité qu’il y a d’y faire des affaires. Comme tout indicateur comparatif, il suscite un grand nombre de critiques, en l’occurrence d’autant plus importantes que cet indicateur a été dès le début un gros succès. Ces critiques n’ont pas laissé l’indicateur indemne. Il est clair que tous les benchmarks présentent un inconvénient majeur, celui de passer sous silence tout ce qui n’est pas ou difficilement mesurable. Il est cependant regrettable que sous la pression de certains pays mal classés, dont la France, un domaine d’un indicateur fondamental ait été abandonné.
Au début, personne n’était content
Comme l’explique Siméon Djankov, créateur du projet Doing Business en 2003, l’étude est extrêmement populaire. À ce jour, dans sa quinzième édition, les données de la Banque mondiale auraient été citées dans plus de 3000 articles académiques et plus de 7000 documents de travail en économie et en sciences sociales. Le rapport semble avoir une influence importante sur les décideurs politiques. Djankov témoigne de sa surprise de constater à quel point ceux-ci prêtent attention au classement de leur pays. Il relate qu’au début personne n’était content. Les autorités publiques jugeaient avoir été mal classés alors que le secteur privé jugeait la situation pire.
Reste qu’après des réactions parfois très vives de la part d’un certain nombre de gouvernement, la réaction a souvent été : « tentons d’améliorer notre rang ». Mais pas toujours. A ce jour, la régulation du marché du travail n’entre plus dans la moyenne des scores réalisés à partir des 10 autres domaines qui incluent la création d’entreprise, l’obtention des permis de construire, l’obtention d’un prêt, etc. Elle figurait bien dans l’indicateur à l’origine, mais a été retirée en 2012 sous la pression de pays comme la France.
Un problème français
Cette exclusion est pour Djankov injustifiable. Ce domaine devrait, selon lui, être réintégré par la Banque Mondiale au calcul global. Son approche fait des émules. A la fin de l’année dernière, le Lithuanian Free Market Institute (LFMI) a décidé de relancer ce volet qui avait disparu de l’indicateur, en le rebaptisant Indice de flexibilité de l’emploi 2018. Sans grande surprise, la France arrive dernière parmi les 41 pays de l’OCDE classés. D’autres indicateurs, comme celui du Forum économique mondial, confirment ce résultat. Dans l’édition 2017-2018 de leur Global Competitiveness Forum, le marché du travail français est en 56e position sur 137 pays avec un classement en 133e position pour ce qui est des possibilités d’embauche et de licenciement. Du côté des instances européennes, même constat : dans leurs prévisions sur le taux de chômage en 2018 (9,3%) et 2019 (8,9%), seuls Chypre, l’Italie, l’Espagne et la Grèce pourraient faire pire. On le voit, les indicateurs convergent. Tout le monde sait que le marché du travail est un point noir en France, y compris le gouvernement actuel qui y a consacré sa toute première grande réforme.
Casser le thermomètre
Au-delà, du jugement que l’on peut porter sur ces tentatives de casser le thermomètre quand il n’indique pas les bons résultats, il est clair que les indicateurs doivent toujours être analysés avec beaucoup de prudence. Ils sont, en effet, le fruit d’une vision extrêmement simplifiée de la réalité et surtout ils ne tiennent pas compte de ce qui n’est pas mesurable. Or, on aurait tort de penser que ce qui n’est pas mesurable n’existe pas. Le marché noir prospère dans nombre de pays et, pourtant, il est bien difficile de le mesurer. Il n’empêche que depuis les travaux de Hernando de Soto sur l’économie informelle, cette dimension a fait l’objet d’études et d’analyses pour en comprendre la logique et trouver les moyens de la rendre formelle. Plus généralement, tout ce qui n’entre pas dans un échange monétaire est difficile à mesurer et cela n’en diminue pas pour autant l’importance. Au sein de communautés associatives, caritatives, familiales et autres, les échanges sont pléthore et on ne saurait sous-estimer leur importance. J’irai plus loin en affirmant qu’il faut toujours veiller à l’impact de la mesure comparative sur l’existence de ces communautés. Car lorsque la mesure a un objectif politique, elle peut évidemment leur bénéficier ou leur nuire.
Un taux de chômage qui n’est pas repassé sous les 4,5% depuis 1978
La chose n’est pas facile. Il y a une sorte de tension entre le besoin de mesurer les choses et l’impossibilité de quantifier des dimensions essentielles de la vie. Il n’en demeure pas moins que dans le cas du marché du travail, il est difficile de justifier l’absence de baromètre performant. Un pays où le taux de chômage n’est plus repassé sous la barre des 4,5 % de la population active depuis 1978 ne peut pas faire l’économie de comparatifs, même quand leur résultat ne fait pas plaisir.
Espérons que la réforme du marché du travail en cours permettra de changer la donne. Elle pourrait permettre à la France d’abandonner sa position de mauvais élève. Si c’est le cas il est tout à fait possible que le volet « marché du travail » soit réintégré à l’indicateur de la Banque mondiale. Ce baromètre retrouverait tout son sens et, surtout, un nombre significatif de chômeurs auraient enfin l’opportunité de retrouver un emploi… Une bonne nouvelle dans un pays qui prône l’égalité et la fraternité, mais organise depuis trop longtemps la dualité du marché du travail.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.