Énergies renouvelables : une révision qui risque de coûter cher
Texte d’opinion publié le 4 avril 2018 dans La Tribune.
La Commission européenne a fixé un objectif d’utilisation de 10% de biocarburants d’ici 2020 dans le cadre de sa politiquement de développement des énergies renouvelables. En même temps, elle vient de bannir l’huile de palme qui reste pourtant l’huile végétale la plus productive. Cet exemple montre l’incohérence de cette politique qui va déboucher sur une accumulation de réglementations, un gaspillage de ressources et des marchés inefficaces.
L’Union européenne a adopté plusieurs directives visant à promouvoir les sources d’énergie renouvelables. En 2009, la Commission a lancé la Directive énergie renouvelable (RED pour Renewable Energy Directive). L’objectif était de réduire les émissions de CO2, parvenir à un développement durable, protéger l’environnement et améliorer la santé des citoyens. Puis, en 2016, la Commission a proposé de réviser RED. L’objectif est dorénavant d’atteindre 27% d’énergie renouvelable d’ici 2030, avec notamment l’utilisation de 10% de biocarburants dans le transport d’ici 2020.
RED est actuellement en négociation à Bruxelles. Cela devrait durer jusqu’en juillet 2018. Il faut savoir que les biocarburants continuent de faire l’objet de nombreuses critiques. En particulier, ils ne permettraient pas d’atteindre leurs objectifs en termes de réductions des émissions dans le transport. En effet, afin de satisfaire une demande croissante pour les biocarburants, créée de toute pièce par les politiques européennes, il a été nécessaire d’y dédier des terres aussi bien au sein de l’UE qu’ailleurs, entraînant parfois le déboisement de certaines surfaces. Le biodiesel – produit à partir d’espèces végétales comme le colza, du soja ou le palmier à huile – représentait 81% des biocarburants au sein de l’UE. Ces changements d’affectation des sols ont aussi contribué à détourner des terres des productions alimentaires, entraînant une hausse des prix vivement critiquée.
Un cercle vicieux
En janvier 2018, le parlement européen a décidé de supprimer l’huile de palme de la directive, d’ici 2021 tout en autorisant jusqu’en 2030 la production des biocarburants à partir d’autres espèces végétales. L’argument avancé est celui des effets négatifs sur l’environnement de la production à partir du palmier à huile (déforestation et diversité). Or, ses détracteurs, qu’il s’agisse du Parlement, de Greenpeace, de Friends of the Earth, négligent systématiquement un aspect crucial du palmier à huile : il est le plus productif. Fabriquer des biocarburants à partir de l’huile de palme exige au final moins de terre et d’input. Ainsi, pour produire la même quantité d’huile à partie du soja ou du colza, il faut au moins 5 fois plus de terre et d’inputs. Eliminer l’huile de palme, c’est accentuer les effets déjà négatifs de la production de ces biocarburants en mettant la pression sur les terres agricoles et les forêts européennes. De fait, la promotion des biocarburants à travers RED est un cercle vicieux dans lequel des décisions politiques créent toutes sortes d’effets pervers qui appellent de nouvelles réglementations qui elles-mêmes suscitent d’autres effets. Résultat : une accumulation de réglementations, un gaspillage de ressources et des marchés inefficaces.
L’accusation de protectionnisme
Ce n’est pas tout. La décision européenne d’éliminer l’huile de palme n’a évidemment pas été accueillie favorablement par ses principaux producteurs que sont la Malaisie et l’Indonésie. Ces deux pays l’accusent d’être protectionniste et menacent de représailles. Ceci pourrait évidemment provoquer une guerre commerciale avec les pays d’Asie.
Cette guerre potentielle n’est pas du goût du gouvernement français qui s’oppose à l’élimination de l’huile de palme, en raison des dommages collatéraux que nos industries pourraient subir. En effet, la Défense et l’Aerospace sont des industries fortement exportatrices vers l’Asie du sud-est. On ne peut qu’applaudir ce positionnement antiprotectionniste du gouvernement.
De fait, un pays n’est jamais seulement exportateur ou importateur. Pour être l’un, il faut aussi être l’autre et cela impacte de façon significative l’économie et le niveau de vie des gens. Ainsi, l’UE est intégrée dans une chaîne d’approvisionnement mondiale. Nombre d’entreprises commerciales européennes – Airbus, Michelin, L’Oréal, Total, Mercedes Benz – entretiennent des liens étroits avec l’Asie et auront à souffrir des représailles. L’ASEAN (Association des nations de l’Asie du sud-est comprenant 10 membres dont la Malaise, l’Indonésie et la Thaïlande) représente le 3ème partenaire commercial de l’UE (après les Etats-Unis et la Chine) pour un montant de €246 milliards en 2014. L’UE est le 2ème partenaire de l’ASEAN après la Chine, soit 13% des échanges commerciaux. Plus important encore, l’UE est de loin le plus gros investisseur dans cette partie du monde, soit 22% du montant total de l’Investissements direct à l’étranger.
Des réglementations toujours plus contraignantes
Une guerre commerciale équivaut à se tirer dessus. La stratégie du « prêté pour un rendu » est un jeu sans fin qui consiste à mettre de l’huile sur le feu dans l’espoir de l’éteindre. Comme l’expliquait l’économiste français Frédérique Bastiat au 19e siècle, être protectionniste parce que d’autres pays le sont n’a pas plus de sens que de bloquer ses ports parce que d’autres pays ont des frontières terrestres.
L’UE pratique déjà plus de 12.000 tarifs sur les biens et subventionne nombre de programmes. RED est un exemple parmi d’autres de ce que la dynamique politique crée des réglementations toujours plus contraignantes et distord le marché. Plutôt que de poursuivre sur cette voie, il serait bénéfique aussi bien politiquement qu’économiquement de ne pas supprimer arbitrairement l’huile de palme de la fabrication des biocarburants. Plus encore, il est peut-être temps de se poser la question de leur bien-fondé.
Hiroko Shimizu est chercheure associée à l’Institut économique Molinari.