Les bénéfices du CAC 40 profitent davantage à l’État qu’aux actionnaires !
Texte d’opinion publié le 19 septembre 2018 dans Le FigaroVox.
Cette année les entreprises du CAC 40 devraient enfin dépasser leur dernier record de profits, 96 milliards d’euros en 2007. Si cette performance réjouit d’avance certains, elle est de nature à alimenter les inquiétudes de ceux qui n’en bénéficient pas directement. N’est-ce pas, une fois de plus, le signe d’une société qui se segmente, les profits des uns ne bénéficiant pas nécessairement au plus grand nombre? La réponse dépend de la perspective que l’on adopte, selon qu’on analyse les gains des seuls actionnaires ou de la société dans sa globalité.
Depuis que le capitalisme existe, un débat se développe entre ceux qui contestent son essor ou ceux qui cherchent à le faire évoluer, ou tout simplement profiter de son existence. Questionner l’apport de l’entreprise à la société est devenu une démarche récurrente. Les entreprises sont à la fois une source d’espoirs, de doutes, voire de craintes. Capables de fédérer un écosystème unissant salariés, dirigeants, banques, prestataires et sous-traitants, États et actionnaires, elles sont un maillon clef de la création et du partage de valeur entre parties prenantes.
D’un point de vue historique, le débat a longtemps été de savoir si l’entreprise répartissait de façon équitable les gains entre les actionnaires et les salariés ou si, au contraire, les gains des uns évoluaient au détriment des autres.
De nouvelles interrogations ont vu le jour au cours des dernières années. Dans plusieurs pays européens, la persistance de déficits publics et la montée en puissance de la dette créent une tension entre ceux qui sont favorables à une taxation accrue et ceux, au contraire, qui prônent une taxation plus clémente. Cette tension est particulièrement significative en France, pays caractérisé par la persistance (l’existence?) de déficits publics significatifs concomitants avec une pression fiscale très élevée.
Un débat parfois caricatural se développe au sein du grand public, avec un risque de polarisation des opinions sur des positions tranchées et irréconciliables. Un certain populisme économique conduit, en effet, de plus en plus à décrier les grands employeurs, en les accusant de tous les maux: ils ne partageraient pas les profits, ils privilégieraient les dividendes sur les investissements, ce qui générerait un enrichissement anormal des actionnaires.
Pour certains, l’entreprise se comporterait aussi en «passager clandestin», en profitant des services offerts par les États et les administrations publiques, tout en rechignant à participer à leur financement. Les employeurs sont ainsi périodiquement accusés de ne pas payer assez d’impôts, d’optimiser les crédits d’impôts (CICE…) et de pratiquer l’optimisation fiscale. Ces assertions sont génératrices d’interrogations voire d’inquiétudes au sein des opinions publiques. Des présentations partiales ou biaisées contribuent à entretenir une vision clivante, héritée du concept de lutte des classes en s’appuyant, ironie de l’histoire, sur l’abondante masse d’informations financières disponible. Destinée à présenter les résultats des entreprises, elle se focalise sur des données significatives pour les actionnaires.
Or la création de valeur pour la collectivité au sens large est extrêmement difficile à appréhender avec les présentations comptables ou financières classiques, qui sous-évaluent les gains pour la collectivité, tout en sur-évaluant les recettes des actionnaires – en présentant des dividendes avant impôts.
L’analyse des résultats des entreprises du CAC 40 illustre parfaitement ce biais. Il y a quelques mois, une ONG d’origine britannique faisait la une de l’actualité en annonçant qu’en 2016 les plus grandes entreprises françaises avaient redistribué 67 % de leurs bénéfices aux actionnaires. À l’en croire, ce prisme actionnarial fragiliserait le développement des entreprises en question et creuserait les inégalités. Or les mêmes calculs, refaits par l’Institut économique Molinari, en prenant en compte la fiscalité, montrent une réalité bien différente. Les bénéficiaires des résultats du CAC 40 sont avant tout les États (53 % des bénéfices avant impôts), suivis des actionnaires (41 %) et des salariés (6 %).
Comme l’écrivait en 1850 Frédéric Bastiat, en économie le risque est de s’arrêter à «ce que l’on voit», sans réaliser l’importance de «ce qu’on ne voit pas». Les entreprises ne dérogent pas à cette règle, une analyse raisonnée de leur contribution ne peut se cantonner aux gains des actionnaires.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari. Nicolas Marques est directeur de l’Institut économique Molinari.