L’équilibre budgétaire, un enjeu sociétal à reprioriser
Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.
On ne le dira jamais assez, la France se met en risque avec ses finances publiques inquiétantes. D’une part, nous n’avons jamais été capables d’équilibrer les comptes de l’Etat depuis 1974. D’autre part, la situation de l’administration centrale s’améliore moins vite que chez nos voisins, comme l’illustrait il y a quelques semaines la 4ème édition de notre étude sur le Jour ou l’Etat à tout dépensé. Elle montrait que le 15 novembre, l’Etat en France avait épuisé toutes ses recettes annuelles, 47 jours avant la fin de l’année 2017. Elle soulignait aussi que le timide effort de redressement des finances étatiques s’enrayait, avec une ‘impasse’ prévisionnelle de 56 jours non financés en 2018 et de 67 jours en 2019.
Le dernier rapport de la Cour des comptes confirme, malheureusement, cette analyse. Il atteste que notre situation est « fragile ». Selon les sages de la rue Cambon, l’Etat des finances publiques est « préoccupant », la France étant à la merci du moindre choc. Morceaux choisis pour ceux n’ayant pas le temps de lire ce rapport dans son intégralité…
En 2018, les déficits sont restés élevés en dépit de la croissance
« Selon la dernière prévision du Gouvernement, après huit années de baisse ininterrompue, le déficit public s’établirait en 2018 à 2,7 points de PIB, soit le même niveau qu’en 2017 » (page 26).
Solde des administrations publiques de 2000 à 2018 (en points de PIB)
Source : Cour des comptes, à partir des données de l’Insee jusqu’en 2017 et de la prévision du Gouvernement pour 2018.
« Malgré une croissance encore relativement favorable (1,7 % selon le Gouvernement, 1,5 % selon l’Insee), supérieure aux estimations existantes de la croissance potentielle (1,25 % selon le Gouvernement), le déficit public comme le déficit structurel ne se seraient pas réduits en 2018. » (page 32).
La dette publique a progressé en 2018, à la différence des autres pays européens
En 2018, « la dette rapportée au PIB aurait continué d’augmenter, à rebours de la trajectoire constatée chez une grande majorité de nos partenaires » (page 32).
Elle est « restée en 2018 sur une trajectoire divergente de celles de l’Allemagne et de la zone euro : la dette publique allemande qui, rapportée au PIB, baisse continûment depuis 2012, devrait être revenue au seuil de 60 points de PIB en 2018 ; celle du reste de la zone euro diminue depuis 2015 et serait passée en dessous de celle de la France en 2018 » (page 31).
Dette publique (en points de PIB)
Source : Cour des comptes.
En 2019, le déficit serait de 3,2 points de PIB, voire pire
« Les perspectives de finances publiques pour 2019 sont affectées d’une fragilité toute particulière » (page 25) ?
« Les prévisions de recettes de prélèvements obligatoires et de dépenses sont entourées d’incertitudes importantes » (page 40).
« Après deux années de déficit inférieur à 3 points de PIB, le déficit effectif prévu dépasserait à nouveau ce seuil en 2019 » (page 47).
« La prévision d’un déficit public à 3,2 points de PIB en 2019 est fragile : elle suppose notamment que la croissance ne s’affaissera pas en 2019, comme le laissent craindre les dernières informations conjoncturelles, que l’impact des mesures adoptées dans le cadre de la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales sera intégralement compensé par les mesures d’économies annoncées et, enfin, que les objectifs de dépenses contenus dans les lois financières de 2019 seront strictement respectés » (page 42) .
« Les perspectives de finances publiques pour 2019 témoignent de la fragilité du redressement opéré à ce jour : les mesures d’urgence visant à répondre à la crise sociale ont suffi à porter la prévision de déficit public au-dessus du seuil de 3 points de PIB, à limiter à 0,2 point de PIB l’ajustement structurel prévu sur les trois années 2017, 2018 et 2019 et à faire augmenter de nouveau la dette publique rapportée au PIB, alors même que la croissance au cours de ces trois années devrait être supérieure à son potentiel » (pages 42-43).
Un décalage croissant avec les autres pays européens et un non-respect de nos engagements
Pour 2019, « la prise en compte des éléments les plus récents conduirait ainsi, toutes choses égales d’ailleurs, à dégrader encore la position de la France au sein de la zone euro, s’agissant tant du déficit effectif, qui repasserait au-dessus de celui de l’Italie et serait donc le plus élevé de la zone euro, que du déficit structurel, qui se rapprocherait de celui de l’Espagne et de l’Italie » (page 45).
« L’absence d’amélioration du solde structurel désormais affichée pour 2019, après une évolution similaire en 2018, est (…) en contradiction avec nos engagements européens (…) Les mesures décidées en fin d’année 2018, conduisant à une stabilité affichée du solde structurel en 2019, ont encore éloigné la France du respect de ses engagements européens (…) Le déficit structurel prévu s’écarte par ailleurs désormais sensiblement de la cible visée dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) de janvier 2018, dont l’ambition était pourtant limitée, avec une amélioration de seulement 0,4 point de PIB au total sur les années 2018 et 2019 » (page 43).
Prévisions successives de solde structurel (en points de PIB)
Source : Cour des comptes.
La dette publique continuera d’augmenter en 2019, un risque en cas de crise
En 2019, « la dette publique rapportée au PIB augmenterait encore, alors qu’elle baisse dans la totalité des autres pays européens » (page 46).
« Selon les prévisions de la Commission européenne, la dette publique de l’Allemagne passerait nettement en dessous de 60 points de PIB tandis que celle de la zone euro hors Allemagne et France baisserait de nouveau » (page 45).
« La France est désormais l’un des pays les plus endettés en Europe, après la Grèce, l’Italie, le Portugal et la Belgique. Or, suite à la dernière crise financière de 2008-2009, ces pays ont enregistré des tensions sur leurs taux d’intérêt, voire des difficultés de refinancement de leur dette, ce qui les a conduits à mener des programmes d’ajustement budgétaire rigoureux sans pouvoir amortir le choc macroéconomique par une politique de soutien à l’activité. Même si la situation de la France n’est pas totalement comparable à celle de ces pays, le haut niveau d’endettement public en France et le niveau important de déficit public ne laissent donc que peu de marges de manœuvre » (page 46).
Un enjeu démocratique qui devrait être œcuménique
La Cour considère que « la France, du fait du caractère incomplet de l’assainissement de ses finances publiques, ne dispose que de peu de marges budgétaires pour faire face à un retournement conjoncturel ou à une situation de crise » (page 43).
Ce laisser aller devrait interpeller tous ceux qui sont attachés au pays et à ses institutions, indépendamment de leur vision de ce qui incombe à l’Etat, à la subsidiarité et au marché. Comme l’affirmait récemment Nassim Taleb, la France est sans doute le pays d’Europe le moins antifragile d’Europe. Une situation qui devrait tout autant alarmer les défenseurs de l’action publique que ceux attachés à la libre entreprise.
Nicolas Marques est directeur de l’Institut économique Molinari.