Abandonner cette réforme des retraites ou la compléter ?
Chronique publiée le 10 juillet 2019 dans Capital.
L’idée d’une uniformisation des régimes de retraite, née d’une erreur de diagnostic et d’une ambiguïté, s’avère être aujourd’hui un piège politique redoutable. Et s’il était temps de l’abandonner ou de la compléter par un pilier en capitalisation? Provocation. Non pragmatisme, estime Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari.
Sur le papier, la réforme des retraites proposée par le candidat Emmanuel Macron cochait toutes les cases. En 2017, le candidat considérait qu’”après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier”. Il envisageait l’avenir avec “une sérénité raisonnable”. Selon lui, l’enjeu était de consolider de façon consensuelle le choix français du tout répartition, sans repousser l’âge de la retraite ou augmenter la durée de cotisation. Savamment dosé pour séduire le maximum de monde sans froisser, son programme proposait de mettre fin aux “injustices” avec l’instauration des “mêmes règles pour tous”.
L’uniformisation du mode de calcul de la retraite pour les fonctionnaires, salariés et indépendants devait garantir que personne ne puisse accuser autrui de “profiter du système”. De quoi séduire les actifs et retraités du privé attachés au nivellement des disparités entre public et privé, tout comme la suppression du régime spécial des parlementaires. Dans le même temps, le programme présidentiel stipulait que des différences de traitement pourraient subsister si les employeurs décidaient de cotiser davantage. De quoi rassurer cette fois tous ceux qui auraient pu craindre la perte d’avantages spécifiques.
La réforme semblait sur les rails. Chacun aurait un compte, avec des droits bonifiés en fonction de la progression des salaires. Certes, on continuerait à dépendre quasi exclusivement de la répartition, mais les Français y sont attachés. Surtout, selon les prévisions, son retour à l’équilibre était à portée de main. Le Conseil d’orientation des retraites (Cor) parlait de 2025 dans son rapport de 2016. Ainsi, la multitude des réformes entreprises depuis une trentaine d’années permettait enfin de voir le bout du tunnel sous 10 ans.
Malheureusement il s’avère, une fois de plus, que le Cor a été trop confiant. Les derniers chiffrages montrent que l’équilibre financier des retraites en répartition est loin d’être acquis. A ce rythme, les déficits subsisteraient bien plus longtemps que prévu, au moins une quarantaine d’années. Les prévisions sur lesquelles le candidat Macron s’est appuyé pêchaient par optimisme. D’où les atermoiements. Faute de pouvoir laisser les comptes déraper, il va falloir continuer à opérer les ajustements traditionnels, ce qui implique de faire un choix cornélien : reculer l’âge de la retraite, en dépit des promesses de campagne ; augmenter les taux de cotisations, en dépit de l’effet délétère sur la compétitivité ; raboter encore plus les retraites, en dépit du risque électoral que cela représente.
Le piège se referme. Emmanuel Macron risque de se trouver dans la délicate position de devoir remettre tout à plat, manœuvre naturellement risquée, tout en étant contraint à un énième tour de vis. La solution la moins pénalisante pour notre économie serait de faire en sorte que les actifs cotisent plus longtemps, contrairement aux engagements de campagne et au discours tenu lors des concertations organisées depuis 2017. D’où l’idée de déposer deux textes, l’un correspondant au régime universel faisant l’objet de la concertation depuis 2017, l’autre consécutif aux ajustements nécessaires pour équilibrer les comptes.
Mais cette démarche est risquée, ce télescopage risquant de susciter du remous. Par essence, les réformes des retraites sont complexes et dures à négocier. La pratique habituelle des pouvoirs publics français est de les « déminer », en identifiant les attentes des groupes de pression et en leur accordant des contreparties. La démarche a l’avantage de faciliter la réforme, en évitant les mécanismes de rejets à l’instar de ce qui s’était passé en 1995. Elle peut s’avérer gagnante dès lors que les contreparties ne sont pas trop généreuses. L’expérience récente des réformes des régimes spéciaux de la RATP et la SNCF montre que ce n’est pas toujours le cas. Selon le bilan de la Cour des comptes, le résultat des réformes Sarkozy était “imprécis”. Pour les magistrats, l’importance des mesures compensatrices accordées ont généré “un bilan global négatif pour la présente décennie et sans doute seulement légèrement positif pour les vingt ans qui viennent”.
Il ne faudrait pas que la création du régime “universel” donne lieu aux mêmes errements. Les négociateurs et le gouvernement ont déjà identifié les attentes des partenaires sociaux, avec notamment la revalorisation sur les bases de l’inflation des retraites inférieures à 2 000 euros ou l’augmentation des primes ou traitement des enseignants. Ces gestes, qui pouvaient paraître anodins alors qu’on croyait que l’équilibre financier était à portée de main, le sont bien moins au vu des dernières projections du Conseil d’orientation des retraites. Certes, l’absence de marge de manœuvre financière pourrait limiter les surenchères, mais ce n’est pas certain. Au fil du temps, les régimes en répartition et ceux en capitalisation ont accumulé 170 milliards d’euros de réserves ou de provisions. Le risque est que les pouvoirs aient la tentation de capter tout ou partie de ces capitaux pour financer la mise en place du régime universel. Cette démarche augmenterait encore plus la dépendance des retraites françaises vis-à-vis de la répartition. Elle nous éloignerait du vrai enjeu, faire monter en puissance une épargne retraite pour compenser le retard français.
On ne le dira jamais assez, l’enjeu est d’organiser la diversification du financement des retraites. Il est d’adjoindre un pilier par capitalisation aux côtés de la répartition, à l’instar de ce que font la plupart de nos voisins. Cette démarche correspond à un impératif de diversification des risques, en évitant de mettre tous ses œufs dans le même panier. Elle correspond aussi à un impératif d’économie des fonds publics et privés. La répartition, dont les revenus progressent comme la masse salariale, est moins généreuse que l’épargne retraite bénéficiant des performances à long terme des marchés financiers. Au lieu de chercher à peaufiner l’organisation de la répartition en misant tout sur le régime “universel”, on gagnerait à réouvrir le dossier des fonds de pensions. Il avait été imprudemment fermé en 2001 par le gouvernement Jospin, avant que le gouvernement Fillon n’entrouvre la porte pour les fonctionnaires en créant l’ERAFP, fonds de pension catégoriel. L’actuelle réforme des retraites organise sa disparition, alors qu’il faudrait au contraire étendre ce type de démarches au privé…
D’où ces interrogations légitimes. A quoi servira la création du régime “universel”. Faut-il tout miser sur ce texte, l’abandonner ou le compléter. Le gouvernement ne fait-il pas un mauvais choix en mettant en jeu sa crédibilité sur cette réforme tout en faisant l’impasse sur la création d’un pilier par capitalisation ?