Jour de libération fiscale : pourquoi les français ne sont pas tirés d’affaire
Interview avec Nicolas Marques publiée le 19 juillet 2019 dans Atlantico.
L’Institut Molinari vient de publier une étude sur la pression fiscale et sociale réelle d’un salarié moyen de l’Union européenne. Nicolas Marques, directeur général de l’institut Molinari dévoile les conclusions de cette nouvelle étude.
Atlantico.fr : L’Institut Molinari publie avec des donnée EY pour la 10ème année consécutive une étude sur la pression fiscale et sociale réelle du salarié moyen de l’Union européenne. Quels sont les enseignements de cette étude pour le salarié français? La pression fiscale est-elle en train de s’amenuir?
Nicolas Marques : Dans cette étude on s’intéresse au décalage qu’il y a entre ce que verse l’employeur et le pouvoir d’achat réel du salarié, la façon dont il peut disposer librement de son argent. On soustrait du coût complet employeur (le « super-brut ») les cotisations salariales et patronales. Juridiquement, on considère parfois que les cotisations patronales sont payées par le patron et les cotisations salariales par le salarié, mais d’un point de vue économique, le distinguo est trompeur. Ces sommes sortent de l’entreprise et n’arrivent pas dans la poche du salarié. On regarde également l’impôt sur le revenu et les impôts sur la consommation (en l’occurrence la TVA). On a donc une vision d’ensemble de ce qui est payé par l’employeur et du pouvoir d’achat réel du salarié, qu’il peut utiliser librement à sa guise. Nous faisons ce travail avec EY depuis dix ans, avec les règles fiscales et sociales de l’année en cours ce qui donne une photo à l’instant « t » des fiscalités. Cela permet de comparer de façon assez fine les salariés dans toute l’Union européenne. Cela donne des résultats très intéressants lorsqu’on se compare avec nos voisins allemands, belges ou du Nord de l’Europe. On remarque malheureusement que le salarié français est bien plus fiscalisés que ses homologues de pays ayant une tradition fiscale proche de la nôtre.
La situation s’est néanmoins nettement améliorée en France depuis deux ans. Les salariés ont gagné l’équivalent de dix jours de liberté de pouvoir d’achat. Cette évolution est due à deux phénomènes. Le premier phénomène, déjà amorcé l’an passé, c’est la baisse des charges salariales. Elle est relativement modérée puisqu’en année pleine, le salarié moyen récupère 403 euros de pouvoir d’achat. Le gain lié à la baisse des charges salariales est amputé par la hausse de CSG et de l’impôt sur le revenu liée à l’augmentation d’assiette consécutive à la baisse des charges. Le second phénomène, massif, est la baisse pérenne de charges sociales des charges patronales suite à la fin du CICE. Cela représente une baisse de six points par rapport en salaire brut. Cette évolution est une bonne nouvelle puisqu’on diminue significativement et structurellement le coût du travail pour une partie des salariés. Cette baisse est de nature à enclencher une dynamique vertueuse, à l’image de ce qu’on a vu chez nos voisins belges, avec une réduction significative du chômage et une hausse des salaires.
La baisse de la fiscalité repose-t-elle sur une baisse correspondante de la dépense publique ou bien à l’augmentation des revenus fiscaux sous l’effet d’une conjecture favorable de l’économie?
C’est une bonne question, une question structurelle. La baisse de la fiscalité repose, effectivement, à ce stade sur un pari et non sur la mise en place de mécanismes permettant une baisse structurelle des dépenses publiques. Si les charges sociales ont baissé, c’est grâce à une décision « étatique » de réduire les charges sociales en raison de leurs effets délétères sur la croissance et le chômage. Il ne faut jamais oublier que si l’on avait un taux de chômage dans la moyenne de l’UE, on aurait 940 000 chômeurs en moins. Notre sur-fiscalité et notre sur-chômage pénalisent directement ces 940 000 chômeurs en trop par rapport à la moyenne européenne. Le pari des pouvoirs publics est de baisser la fiscalité en jouant sur un effet d’entraînement et les économies. Malheureusement ils cherchent à faire des économies en uniformisant la protection sociale, à l’instar de ce qu’on fait les anglais ou les canadiens. Une démarche qui va à l’opposé de qu’on fait certains pays du Nord et qui risque de susciter un maximum de mécontentements, sans économies significatives.
Deux pistes n’ont pas encore été explorées en France. Le premier levier qui n’est pas utilisé en France concerne la concurrence en assurance-maladie. On cherche à limiter les déficits en rationalisant toujours plus l’assurance-maladie et en bridant les complémentaires-santé. Certains proposent même une étatisation complète. Notre vision à l’Institut c’est qu’il faudrait faire exactement l’inverse. Il faudrait donner la possibilité aux mutuelles, qui sont les acteurs historiques de la protection sociale en France, et aux assureurs de proposer des prestations de type régime général d’assurance-maladie. Cela permettrait d’enclencher des mécanismes vertueux et d’optimiser le rapport qualité-prix des prestations. C’est en place aux Pays-Bas et cela a produit de très bons effets.
Deuxièmement, la montée en puissance de la capitalisation. Lorsqu’on finance une partie des retraites par capitalisation, on fait des économies. Or en France on finance la quasi-totalité des retraites par répartition. Pour distribuer 14% du PIB, il faut prélever 14% du PIB sur les actifs, ce qui est colossal. A l’inverse, les Pays-Bas ont provisionné en partie leurs retraites avec 190% du PIB dans des fonds de pension. Cette épargne rapporte plus de 4% par an, soit plus de 8% du PIB. Nos voisins néerlandais taxent moins leurs actifs pour financer les retraites, puisqu’une partie du financement vient des marchés financiers. Cela nous manque cruellement en France.
Au vu de ce qu’a dévoilé Jean-Paul Delevoye sur la future réforme des retraites, le gouvernement n’a pas prévu de s’orienter vers un système par capitalisation…
Ce n’est en effet pas l’orientation du gouvernement. La réforme qu’annonce Delevoye a été pensée en 2017, au vu du rapport du COR de 2016 qui laissait croire que les sujets d’équilibre financier étaient derrière avec une répartition censée être « tirée d’affaire ». On sait depuis qu’il est très probable qu’il n’y aura pas de retour à l’équilibre jusqu’en 2070, à moins d’une amélioration de la situation. Delevoye déploie une réforme pensée il y a deux ans sur un diagnostic faux et présentant toute une série de risques opérationnels. On a des craintes sur le devenir des réserves et des régimes existants. On espère qu’elles vont subsister à l’issue du processus de fusion entamé par le gouvernement, qu’elles ne vont pas être consommées pour faciliter la transition. On espère aussi que les mécanismes vertueux mis en place dans les années 2000 ne vont pas être balayés par la réforme, notamment à l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique. Il s’agit d’une capitalisation obligatoire pour les fonctionnaires, créée par la « loi Fillon » en 2003. La position de l’Institut est que ce dispositif est très intelligent et qu’on devrait l’étendre à tous les salariés du privé. Se priver d’un pilier obligatoire en capitalisation n’est pas responsable.
Au vu des résultats de votre étude, on pourrait répondre qu’il faudrait les mettre en parallèle avec les avantages des dépenses publiques dans le système social français et que cette réduction de la pression fiscale ne bénéficierait pas aux salariés. Les charges et les impôts ne sont-ils pas en France le signe d’un bon fonctionnement social qui garantit à la fois le bien-être et la paix sociale?
L’étude compare les taux de pression fiscale et sociale français avec ceux des pays voisins, notamment ceux d’Europe du Nord ayant des traditions sociales semblables aux nôtres. Par exemple, si l’on prend le Danemark ou la Suède , les coûts employeurs et les prestations sociale sont très proches des nôtres. Or le salarié danois a 30% de pouvoir d’achat réel en plus que nous et le Suédois en a 16% de plus. On peut très bien avoir des prestations publiques de qualité et fiscaliser moins les salariés. Quand on regarde notre positionnement par rapport aux autres pays, on est aussi les premiers en pression fiscale tout en étant au milieu du classement en terme de qualité de vie selon l’OCDE. Ces chiffres montrent que le rapport qualité-prix de l’offre de services publics française n’est pas bon.