Ne passons pas à côté de l’effet placebo
À partir de l’année prochaine, l’homéopathie ne sera plus remboursée qu’à hauteur de 15% par la Sécurité sociale avec un arrêt total de son remboursement en 2021. Le gouvernement a pris sa décision, mais le débat est-il vraiment clos ? Chronique de Cécile Philippe, présidente de l’IEM, publiée dans La Tribune.
Le gouvernement a pris sa décision après un débat de longue date, mais qui avait été ravivé récemment. Ainsi, un avis défavorable à son encontre de l’Académie des sciences européennes en septembre 2017, une tribune dans le Figaro d’un collectif de 124 professionnels de la santé en mars 2018 et l’avis de la Commission de transparence de la Haute autorité de santé, en juin dernier, ont conforté cette décision.
La fin de la prise en charge par l’assurance maladie des médicaments homéopathiques est principalement justifiée par « l’absence de preuve d’une efficacité supérieure au placebo. » L’efficacité thérapeutique de l’homéopathie ne serait pas démontrée. Supprimer son remboursement aurait aussi, pour ses partisans, l’avantage de ne plus lui accorder implicitement une reconnaissance clinique. La décision semble éminemment rationnelle sauf qu’elle passe peut-être, en partie, à côté de certains mécanismes complexes de guérison du corps que des scientifiques tentent aujourd’hui de mieux expliciter.
L’avis très défavorable de certains professionnels de la santé à l’égard de l’homéopathie et des médecines alternatives en général repose sur le fait, bien établi, que l’homéopathie ne repose pas sur des principes actifs ayant un pouvoir de guérison. Ce pouvoir est aujourd’hui évalué au moyen de tests cliniques qui comparent l’efficacité d’un médicament ou d’une pratique clinique avec la délivrance d’un produit sans aucun procédé actif, soit un comprimé d’amidon, de sucre ou de lactose. C’est ce qu’on appelle le placebo.
Comme le relate Gary Greenberg dans un article du New York Times de novembre 2018, l’effet placebo a été découvert à l’époque de Louis XVI par une commission qui enquêtait sur les pratiques à Paris du praticien Franz Anton Mesmer, fondateur de la théorie du magnétisme animal. La commission présidée par Benjamin Franklin conclut à l’époque que ce magnétisme n’existe pas. Il n’empêche qu’un autre constat s’impose : celui du pouvoir de l’imagination d’un patient dirigée par un professionnel de la santé au service de sa guérison.
En 1955, Henry Beecher, anesthésiste et chercheur à la Harvard Medical School, explique lors d’une rencontre de l’association américaine de médecine en quoi les placebos peuvent soulager de l’anxiété et des douleurs post-opératoires, changer la chimie sanguine du corps et même avoir des effets secondaires. Face à ce constat, une révolution a lieu dans l’évaluation de l’efficacité des médicaments. L’enjeu n’est plus de se contenter de constater une amélioration de l’état d’un patient grâce à un médicament, mais de montrer que cette amélioration est supérieure à celle du pouvoir de l’imagination stimulée par le placebo.
Le pouvoir de l’imagination est donc reconnu, mais il est isolé, soustrait et reste au final peu étudié. Cette séparation entre le fonctionnement de l’esprit de celui du reste du corps est conforme à l’approche cartésienne. Mais il est aujourd’hui globalement reconnu que cette séparation est réductrice. L’un fonctionne avec l’autre comme l’explique brillamment le neurologue Antonio Damasio dans L’erreur de Descartes.
Cette séparation n’a effectivement pas de sens pour Ted Kaptchuk, expert du sujet du placebo et professeur à la Harvard Medical school. Depuis des années, il cherche à mieux comprendre les mécanismes de l’effet placebo et explique que ses recherches révèlent des erreurs fondamentales dans la façon dont sont compris les mécanismes de guérison du corps.
Pour lui, une vision de la médecine qui néglige le pouvoir de l’imagination présent dans tous les traitements (homéopathiques comme conventionnels) est une vision appauvrie de ce qui permet aux gens de guérir. La science et ses méthodes qui excluent à raison la subjectivité a permis des découvertes fondamentales comme celle des antibiotiques ou des vaccins. Son influence ne devrait, cependant pas, nous conduire à l’exclure de la rencontre entre un patient et son docteur.
Car Kaptchuk rappelle que le soin médical est un acte moral dans le cadre duquel une personne en souffrance met son destin dans les mains d’un guérisseur de confiance. Cet aspect crucial dans le processus de guérison est sans doute profondément ancré dans notre histoire. En effet, comme le soulignent l’ingénieur Kevin Simler et l’économiste Robin Hanson dans leur livre de 2018 The Elephant in the Brain, il y a un argument évolutionniste à cet aspect moral de la relation entre un malade et celui qui lui apporte son soutien. En l’absence de médicaments à proprement dit ou de procédures chirurgicales, nos ancêtres en situation de maladie ou d’accidents ont pu compter sur la sollicitude de leurs proches pour les nourrir, les protéger de proies potentielles et le cas échéant défendre leurs intérêts, et leur permettre ainsi de survivre et de se reproduire.
Ces aspects ont pu s’imprimer dans notre génome. C’est en tout cas la piste que poursuit la biologiste Kathryn Hall en collaboration avec Ted Kaptchuk. Concrètement, elle recherche par l’analyse moléculaire ou l’utilisation de l’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle, les mécanismes biochimiques de l’effet placebo. Ils seraient d’autant plus fort que l’acte de sollicitude déployé par le praticien est élaboré.
Pour Hall, il semblerait que le placebo et le médicament n’impliquent pas des processus séparés, l’un qui serait psychologique et l’autre physique, mais plutôt que les deux opéreraient sur le même chemin biochimique. L’effet placebo serait un processus biochimique par lequel circulent des signaux de guérison vers le cerveau (le fait de se sentir mieux), mais aussi vers le corps (suppression physique des symptômes). Elle ajoute qu’il faut même envisager la possibilité que certains traitements conventionnels échouent parce qu’ils ont interféré avec la réponse placebo d’un patient. Voilà un constat cher au philosophe Nicholas Nassim Taleb qui dans Antifragile rappelle l’importance de laisser ces mécanismes naturels de guérison opérer et ainsi éviter les interventions naïves.
Pour conclure et revenir au sujet de l’homéopathie accusée de n’être au final qu’un placebo, des recherches montrent aujourd’hui que cet effet est partie intégrante de l’acte de guérison. Il est probable que cet effet emploie les mêmes circuits biologiques que les médicaments conventionnels. Lui refuser toute reconnaissance clinique en 2019 pourrait se révéler un choix obscurantiste reposant sur une vision scientifique étriquée qui continue de séparer arbitrairement l’esprit et le corps. Le débat autour de l’homéopathie mérite donc d’être poursuivi au nom de la raison des émotions.
Cécile Philippe est présidente de l’Institut économique Molinari.