Critique des excédents allemands : un aveu d’impuissance de la France
Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a exhorté l’Allemagne à mettre fin à sa politique de rigueur. Mais qui sommes-nous pour donner des leçons à nos voisins? Depuis la fin de la crise, nos dépenses publiques ont reflué trois fois moins vite que la moyenne de la zone euro. Et les impôts de production, pesant sur les entreprises, sont six fois plus élevés en France qu’en Allemagne. Chronique de Cécile Philippe publiée dans Les Échos.
Dans la presse allemande, le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a exhorté notre voisin à mettre fin à sa politique de rigueur budgétaire en guise d’acte de solidarité vis-à-vis de la zone euro qui connaît une phase de ralentissement.
Depuis plusieurs années, en effet, l’Allemagne accumule des surplus, comme un certain nombre de pays de l’Union européenne. La France fait plutôt figure d’exception dans ce vaste mouvement de retour à l’équilibre, en montrant son incapacité à combler ses déficits et en continuant d’étouffer ses entreprises avec une fiscalité excessive.
L’Allemagne est spécifiquement dans la ligne de mire du ministre Bruno Le Maire, alors que 13 pays de l’Union européenne (UE) sont capables de générer des surplus budgétaires. Cette situation indique un retour à la normale après la crise de 2008 ayant conduit à un envol des dépenses publiques, des déficits et donc de l’endettement. A l’inverse, la France a eu, pendant la phase d’embellie économique des dernières années, un comportement atypique par rapport au reste de l’UE.
En phase de crise, les administrations publiques françaises évoluaient en général de façon synchrone avec le reste de l’UE, tout en restant plus dépensières. Mais elles se sont désynchronisées dans la dernière période de reprise. Les dépenses publiques françaises n’ont quasiment pas reflué entre 2009 et 2018 (-1,2 %), baissant trois fois moins vite que dans l’UE (-4,4 %). La France a écourté prématurément la traditionnelle phase post-crise de réduction du poids des dépenses publiques.
Dans le même temps, les recettes publiques augmentaient de 3,5 %, soit deux fois plus vite que la moyenne de l’UE (+1,6 %). Coincé entre des dépenses publiques difficiles à diminuer faute d’une démarche adaptée et une fiscalité record qu’il serait dangereux d’alourdir encore, le ministre regarde ailleurs dans l’espoir de trouver une échappatoire. Cet espoir est un aveu d’impuissance. Nous cherchons une raison externe à des problèmes français pourtant bien identifiés. Si notre croissance est trop faible, c’est parce que nos entreprises n’investissent pas assez, handicapées par un impôt sur les sociétés trop élevé et des impôts de production dépassant tout entendement.
Selon Eurostat, les impôts de production représentaient 105 milliards d’euros en 2017. L’essentiel de ces impôts porte sur les entreprises, avec 72 milliards d’euros. Les impôts de production étaient six fois plus élevés en France qu’en Allemagne, avec 0,7 % du PIB (dont 0,4 % sur les entreprises). Ils contribuent négativement à l’attractivité de la France, en freinant par exemple le développement de son tissu de PME et d’ETI.
Du côté de l’impôt sur les sociétés, le taux maximal est de 34,4 % (contribution sociale sur les bénéfices incluse), largement supérieur à la moyenne de l’UE. D’ici à 2022, le taux normal de l’impôt sur les sociétés (33,3 %) devait être ramené à 25 %. En tenant compte de la contribution sociale sur les bénéfices (CSB), cela donnera un taux maximal d’imposition de 25,8 %. Malheureusement, cette baisse prend plus de temps que prévu pour les grands groupes réalisant plus de 250 millions de chiffre d’affaires, tandis que le sujet des impôts de production n’est toujours pas réglé.
Tout le monde sait que l’équation budgétaire française est un réel casse-tête. Reste qu’il est dangereux d’accuser les pratiques vertueuses de l’Allemagne quand il faut, au contraire, plancher sérieusement sur des solutions franco-françaises à nos dilemmes.
Cécile Philippe est présidente de l’Institut économique Molinari.