FIRE, une réponse à la surexploitation du capital humain?
Connaissez-vous le mouvement FIRE, acronyme pour Financial Independance, Retire Early, soit en français : Indépendance financière, retraite anticipée? Il réhabilite l’épargne comme valeur et condition nécessaire de la liberté de choisir sa vie, en prenant en compte la notion de capital humain. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans La Tribune.
Dans son livre sur la méritocratie, Daniel Markovits, professeur de droit à la prestigieuse Yale Law School, décrit en détail le profil de ses élèves. Ces derniers – futurs membres de l’élite économique et gagnants du système méritocratique – sont épuisés. Le mérite fatiguerait et userait. Il supposerait de capturer et recapturer en permanence ses privilèges. Face à ce constat, le succès du mouvement FIRE aux Etats-Unis est compréhensible. En inculquant les valeurs de l’épargne, il offre une échappatoire à ceux qui rechignent à tout sacrifier au travail.
FIRE est l’acronyme pour Financial Independance, Retire Early, soit en français Indépendance financière, retraite anticipée. Le modèle est devenu particulièrement populaire chez les millennials dans les années 1990. Les millennials correspondent à la génération des personnes nées entre 1980 et 1995, celles qui ont donc aujourd’hui entre 24 ans et 39 ans.
Equilibre entre travail et intérêts personnels
Cette génération Y, en français, est décrite comme une cohorte recherchant un équilibre de vie entre le travail et les intérêts personnels, accordant une importance majeure à la santé mentale et physique et au final recherchant un meilleur équilibre de vie. C’est peut-être, comme le constate Markovits, parce que la génération Y est aussi « la première à avoir grandi au sein d’un système méritocratique mature » et d’ajouter que « même ceux qui se situent en haut de l’échelle sociale commencent à se révolter contre la formation intensive et compétitive qui leur permet d’y être. » Entre les aspirations et la réalité, le fossé est de taille. Ceux qui travaillent plus de 60 heures par semaine rapportent qu’ils préféreraient travailler bien moins car l’intensité de leur travail interfère avec leur capacité, par ailleurs, à maintenir leur foyer, à entretenir des relations familiales et amicales, etc.
Remontée du taux de suicide
A la Yale Law School, une enquête de 2014 a montré que 70 % des personnes interrogées ont expérimenté une forme d’épuisement mental (anxiété, dépression, insomnie, panique). Ce constat serait même aggravé pour la génération suivante. La professeure de psychologie Jean A. Twenge déplore que la génération internet (1995 et 2012) soit sujette à une grave crise liée à la santé mentale. Tous les indicateurs évaluant la santé mentale auraient atteint des niveaux record en 2016. Ainsi, la dépression aurait augmenté de 21 % pour les garçons entre 2012 et 2015 et de 50 % pour les filles. 31 % de plus d’élèves de 4e et seconde en 2015 déclaraient « se sentir seul » par rapport à 2011, un changement énorme, selon l’auteure, en seulement 4 ans. Le taux de suicide chez les jeunes a commencé à remonter au début des années 2000. 46 % de plus de jeunes de 14-19 ans ont tenté de se suicider en 2015 qu’en 2007. En 2011, et pour la 1ère fois en 24 ans aux Etats-Unis, les jeunes avaient plus de risque de mourir de leur propre main que d’être la victime d’un homicide.
Un facteur souligné par les deux auteurs est l’intensité des études puis du temps consacré au travail. Daniel Markovits développe à ce sujet une thèse très intéressante, à savoir que faute d’un capital permettant de vivre oisivement de ses rentes, le mérite exigerait de déployer des efforts colossaux dès le plus jeune âge, voire de tout sacrifier au travail. La course serait impitoyable. L’aliénation et la « surexploitation » de son capital humain serait le prix à payer par l’élite pour justifier son pouvoir, ses revenus et ses privilèges. Or, nos sociétés dépendent de systèmes monétaires et financiers fondés sur l’endettement dévalorisant le capital et l’épargne. Dans ce contexte, le travail prend une importance particulière. Il devient déterminant, ce qui peut conduire aux abus liés à sa surexploitation, risque important des sociétés sans capital.
Valoriser une démarche d’épargne
Or, cette notion de capital est au cœur du mouvement FIRE valorisant une démarche d’épargne permettant d’exercer un libre choix en matière de retraite. La constitution d’un capital y est présentée comme libérateur puisqu’en permettant de vivre de ses rentes, il libère d’un travail jugé comme aliénant. Dans tous les cas, il donne la possibilité de choisir son patron, ses horaires et même de devenir oisif à l’image de l’élite aristocratique d’antan.
La création de ce capital vient nécessairement de l’exercice de son travail mais plus encore du fait de changer ses habitudes en cessant de consommer à tort et à travers. Le mouvement FIRE réhabilite ainsi l’épargne comme valeur et condition nécessaire de la liberté de choisir sa vie. Ceci peut sembler anachronique mais eu égard à la place qu’a prise la notion de capital humain, il prône peut-être un retour de balancier extrêmement sain.