Pourquoi le régime universel des retraites est une erreur
Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’IEM, publié dans le journal l’Humanité.
Lundi 17 février 2020, Cécile Philippe, Présidente de l’Institut économique Molinari était sollicitée par L’Humanité pour donner sa vision de la réforme des retraites, aux côtés de Bernard Lamirand, animateur du comité d’honneur Ambroise Croizat, et Catherine Mills, maîtresse de conférences émérite. Dans son point de vue, Cécile Philippe insiste sur le contresens que constitue la démarche visant à éteindre les régimes collectifs faisant appel à la capitalisation (ERAFP, Banque de France, pharmaciens…). Elle rappelle qu’il y a 110 ans Jean-Jaurès, fondateur de L’Humanité, défendait avec vigueur la capitalisation au nom de l’émancipation de la classe ouvrière.
La création d’un régime universel des retraites en France est partie du postulat qu’on avait de quoi verser des retraites décentes à l’ensemble de la population. Il s’agissait d’harmoniser les régimes existants, avec un système unique pour tous, fonctionnant sur la base du point. Cette réforme devient un facteur de divisions au moment où l’on réalise que l’équation financière est loin d’être résolue. Les Français se retrouvent face à un projet irréaliste qu’ils ont raison de trouver illégitime.
Ce projet pose problème car il n’existe pas au sein de la population française de consensus autour de la baisse du niveau des retraites. Or, c’est inéluctable compte-tenu du déclin démographique. Le système par répartition, qui représente 98 % des retraites, ne peut pas générer des revenus supérieurs à ce que le travail est capable de produire. Avec un actif pour financer 0,74 retraité, soit trois fois plus qu’en 1960, nous sommes dans une impasse. Entre l’impossibilité d’augmenter les cotisations, sous peine de créer davantage de chômage, et l’impopularité du recul de l’âge de la retraite, le gouvernement s’est placé dans une équation impossible à résoudre. Par ailleurs, en jouant l’idée de l’universalisme abstrait contre des particularités nécessaires et incontournables (pénibilité, fruit de négociations), les discussions autour de projet ont fait réapparaître des différences, dissonantes avec le projet initial.
Faute d’avoir analysé finement le système de retraite actuel et ses insuffisances, le gouvernement passe à côté d’une réforme positive, susceptible de générer des flux financiers suffisants pour améliorer les retraites, dans le respect des différences des uns et des autres.
La grande oubliée de la réforme, c’est la capitalisation qui nous manque depuis la seconde guerre mondiale. Nous avons calculé que le manque à gagner pour la France est de l’ordre 2,6 points de PIB par an par rapport à la moyenne de l’OCDE. Cela représente 61 milliards d’euro par an, soit 19 % des retraites distribuées ou 3 750 euros par retraité chaque année.
Cet élément – ignoré dans le débat actuel – était pourtant discuté dans ces pages sous la plume de son cofondateur Jean Jaurès. En 1910, l’unificateur du mouvement socialiste, constatait que « s’est développée en France une tendance marquée vers la capitalisation qui d’ailleurs en soi est parfaitement acceptable et peut même, bien maniée, par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière ». Cent ans plus tard, la capitalisation subsiste dans le public comme dans le privé (Banque de France, ERAFP, pharmaciens…) et permet de distribuer des retraites décentes à des milliers de personnes. Le régime universel prévoit de supprimer ces régimes, en dépit de leur efficacité, au lieu de les ouvrir au plus grand nombre.
Résolument militant, Jaurès soulignait l’importance de la capitalisation pour tous. Aujourd’hui, elle reste le seul moyen de faire une réforme solide et vertueuse. Elle permettrait de faire des promesses susceptibles d’être honorées. Le gouvernement aurait tout intérêt à abandonner son approche universaliste réductrice au profit d’un projet introduisant une dose de capitalisation collective, sans sacrifier les différences sur l’autel de l’homogénéisation. L’unification à tambour battant n’est pas facteur de lien social et de confiance. Pire, elle est désastreuse pour le vivre ensemble.