Covid-19 : réflexions sur le principe de précaution
L’inscription du principe de précaution dans la constitution n’a pas été d’un grand secours face à la pandémie du coronavirus en France. La Corée du Sud, qui n’a pas un tel principe, a pris des mesures qui ont permis d’apprendre à juguler l’épidémie, montrant qu’il n’y a pas de fatalité, à condition de ne pas en faire une question idéologique. Chronique de Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans La Tribune.
Le principe de précaution, inscrit depuis 2004 dans notre constitution, se veut un instrument de prise de décision efficace en univers incertain. Il vise à rationaliser des actions publiques limitant celles des acteurs individuels afin de réduire des dommages qui, sinon pourraient se révéler catastrophiques. En France, ce principe a été invoqué au nom du changement climatique, du bisphénol A, du glyphosate, des OGM, de l’huile de palme, etc. Le covid-19 révèle que le risque de pandémie n’a pas été suffisamment pris au sérieux, pour susciter lui aussi des mesures préventives. L’expérience à grande échelle que nous vivons avec le coronavirus sera, j’espère, l’occasion de faire remonter ce risque tout en haut de la liste, bien davantage que de nombreux autres peut-être moins essentiels pour notre survie.
Certains risques surévalués
J’écris depuis de nombreuses années sur le principe de précaution. J’ai souvent eu tendance à juger que certains risques dans le collimateur du principe de précaution étaient surévalués par rapport à d’autres. Dans le cas du bisphénol A, par exemple, nous rappelions qu’il n’était pas forcément judicieux de se priver d’une substance sur laquelle nous avions un recul d’une cinquantaine d’années pour la remplacer par d’autres, offrant moins de recul. Sachant que les vernis, notamment ceux contenant du BPA, sont des « remparts » contre des intoxications alimentaires, liées à des bactéries comme l’E. Coli ou le botulisme, pouvant causer la mort.
Le bannissement de l’huile de palme, utilisée comme huile végétale alimentaire ou biocarburant dans la lutte contre le changement climatique, paraissait aussi excessif quand on sait, par ailleurs, que le palmier à huile a une productivité particulièrement élevée par rapport au colza ou au soja et qu’il nécessite également beaucoup moins d’engrais, de pesticides ou de carburant par unité produite.
Le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM), à propos desquels j’ai eu l’occasion d’écrire à de nombreuses reprises, est particulièrement intéressant car il pose la question du risque systémique. L’aspect systémique d’un risque devrait certainement être un critère dans le fait d’appliquer ou pas le principe de précaution. C’est l’argument de l’essayiste Nassim Nicholas Taleb. Selon lui, les OGM doivent être interdits parce qu’ils présentent justement un risque systémique, celui d’éliminer toute diversification dans l’utilisation de semences variées et traditionnelles qui ont montré leur résilience.
La mondialisation a signé la fin de l’isolement
Connu pour son travail sur les « cygnes noirs », Taleb expliquait dans une interview au Point en février, qu’il est rationnel d’être paranoïaque au sujet de covid-19. Conformément à son analyse concernant les risques et les moyens de les hiérarchiser, il soulignait que le coronavirus fait partie des risques contre lesquels il est impératif de se prémunir. Car la mondialisation a signé la fin de l’isolement, avec l’interconnexion généralisée de la planète et celle des villes en particulier, favorisant ainsi la possibilité pour des virus de se propager très rapidement. Le cas de covid-19 est emblématique de ce phénomène. En l’espace de 5 mois, le premier cas aurait été détecté le 17 novembre 2019, le virus aurait réussi à se propager dans plus de 114 pays.
Taleb considère qu’il convient d’être « paranoïaque » à l’égard de ce nouveau virus dont on ne connait justement pas grand-chose, sauf que sa mortalité est plus que celle de la grippe saisonnière. Tel est aussi le discours du biologiste Matt Ridley. Connu pour relativiser des risques qu’il juge surévalués, il invite à la précaution dans le cas des épidémies en général, et celle du Coronavirus en particulier.
Or, force est de constater que nombre de pays riches – en particulier la France – n’étaient pas prêts face à cette épidémie. Les plus optimistes ont raison de répéter que le taux de mortalité reste faible. En effet, si tel n’était pas le cas, nous serions dans une situation encore plus préoccupante. C’est ce que souligne le docteur Amesh Adalja, expert en maladie infectieuse à la Johns Hopkins dans un podcast avec Sam Harris. Pour lui, cette pandémie devrait servir de répétition générale pour faire face à un risque pandémique beaucoup plus large pour l’espèce humaine.
Des retours d’expérience remarquables
A ce stade, les informations arrivent au compte-goutte et il faudra des semaines pour enrayer l’épidémie et faire le bilan. Il n’empêche que, d’ores et déjà, les retours d’expérience en provenance de la Corée du sud sont remarquables. Ce pays gère les choses d’une façon très différentes des nôtres. Comme je l’expliquais dans un article précédent, les Coréens ont été en mesure de procéder à la pratique de tests à grande échelle depuis le début de la crise. Sans qu’on sache à ce stade s’ils ont réussi à enrayer la contagion définitivement, le Los Angeles Times rappelle qu’après une flambée de 900 nouveaux cas par jour fin févier, ils enregistraient seulement 100 nouveaux cas samedi 14 mars.
Les explications concernant la gestion coréenne de l’épidémie commencent à être disponibles. L’aspect le plus importante est qu’ils étaient prêts à l’éventualité d’une nouvelle épidémie. Ils avaient tiré le maximum d’enseignements de l’épidémie du MERS de 2015 et n’ont perdu aucun temps en hésitations en 2020. Le MERS, qui ne s’était pas révélé catastrophique, a été leur répétition générale. Qu’ont-ils appris ? Que faute d’avoir pu diagnostiquer rapidement les personnes contaminées, celles-ci avaient déambulé d’un hôpital à l’autre propageant ainsi le virus.
Cette défaillance a convaincu les autorités de ce qu’il était impératif de pouvoir tester les gens à grande échelle, sans risque de contamination des personnes saines. Pour ce faire, il ont décidé de relâcher en 2015 les contraintes bureaucratiques de nature à ralentir l’homologation d’un test en cas d’épidémie. D’autres mesures ont consisté à préparer des kits de test à profusion ainsi que du matériel de protection et à anticiper la mise en place de moyens permettant de tester les gens en dehors des locaux médicaux. Du coup, alors que la Chine informait de la présence de 41 cas le 11 janvier, les autorités coréennes distribuaient le matériel à tous les laboratoires en Corée, avant même qu’il soit alors utilisable, le code génétique du virus n’ayant pas encore été révélé.
Une fois celui-ci connu, le réseau public de santé en coordination avec les laboratoires et hôpitaux privés a été capable de tester les gens de façon extrêmement étendue, sans les limiter aux personnes ayant voyagé récemment en Chine. Leurs capacités de tests seraient aujourd’hui de 12.000 personnes par jour, avec un résultat obtenu en 10 minutes. Le 16 mars, le ministère de la Santé informait de 8.236 cas positifs et de 75 morts avec 270.000 personnes testées. Cela situe leur taux de mortalité à 0,9% quand elle est ailleurs d’environ 3%, ce différentiel s’expliquant probablement par une sous-évaluation du nombre de malades hors de Corée.
La Corée n’a pas fermé ses frontières avec la Chine
A ce jour, la Corée n’a pas eu besoin de fermer ses frontières avec la Chine, ni de confiner l’ensemble du pays. Les Coréens arrivent, pour le moment, à avoir une gestion de crise ciblée et semble-t-il efficace. A l’inverse, dans les pays européens, faute de préparation, des mesures de plus en plus drastiques s’accumulent au fil des heures. Elles arrivent tardivement, sont coûteuses en termes de libertés individuelles et sur le plan économique. Surtout, le bilan humain sera sans doute beaucoup plus lourd en Europe.
La richesse achète du temps, normalement. Quand on est riche, on est moins contraint sur le plan vital. On découvre aujourd’hui de manière douloureuse que la richesse ne suffit pas. Il faut aussi être capable d’allouer les moyens au bon endroit, ce qui implique d’identifier les risques les plus importants. Le cas de la Corée du sud montre que ce que nous vivons en Europe actuellement n’est pas une fatalité. L’épidémie est un moyen d’apprendre, à condition de ne pas en faire une question idéologique. Elle ne doit pas conduire à remettre en question la mondialisation, ou à opposer le privé et le public. La Corée ne ferme pas les frontières et mise sur des institutions de santé privées comme publiques. Elle n’a pas de principe de précaution. Par contre, les Coréens ont compris le danger d’un risque systémique comme une épidémie dans un monde mondialisé. Ils s’y sont préparés et à ce jour, ils s’en sortent mieux que nous, avec moins de morts que les Français.