Les États déficitaires plus lents à réagir face au Covid-19
La situation économique s’assombrit au fur et à mesure que la pandémie avance. Si l’imminence d’une récession économique mondiale n’est plus à démontrer, cela ne veut pas dire que les pays affectés ont un choix à faire entre l’économique et le sanitaire. En effet, c’est en réussissant à maîtriser rapidement la crise sanitaire que l’économie pourra repartir sur des bases solides. Or, cette maîtrise implique de pouvoir orienter les forces économiques actives pour s’assurer de cette réussite rapide.
Texte d’opinion par Gabriel A. Giménez Roche, enseignant-chercheur en économie à NEOMA Business School, chercheur associé à l’Institut économique Molinari, spécialiste en cycles économiques et financiers, publié dans La Tribune.
L’État en France a multiplié les mesures de soutien à l’activité économique tels les rallongements des délais fiscaux et sociaux, les reports des loyers et paiements des services publics (eau, gaz, électricité), et la garantie d’accès à des lignes de trésorerie bancaires. Ces mesures visent à permettre aux entreprises de vivre plus longtemps sur leurs réserves de trésorerie. Mais elles seront peu efficaces pour les entreprises dont les réserves étaient déjà faibles. Selon une étude de 2016, la durée médiane des réserves de trésorerie des petites entreprises aux États-Unis était de 27 jours. Tous les secteurs de la consommation et de la construction étaient en dessous de cette médiane, les secteurs industriels et intermédiaires ayant entre 28 et 47 jours de réserves. Si on se base sur ces données pour analyser le cas de la France, dans le cadre d’un confinement qui pourrait être de huit semaines (56 jours), il est à craindre que les mesures annoncées ne soient pas suffisantes. On constate, par ailleurs, que les demandes de chômage partiel, après 10 jours seulement de confinement, concerneraient déjà 100.000 entreprises et 1,2 million d’employés. Par conséquent, la meilleure solution – pour limiter les effets de la récession économique à venir – serait de maitriser rapidement la crise sanitaire pour rendre possible un retour de l’activité économique en toute sécurité.
Pour ce faire, il faut que les moyens de prévenir, identifier, suivre et isoler très tôt les cas de contamination soient disponibles. Pour augmenter l’efficacité des mesures visant à limiter la contagion, la France a besoin de plus de masques, gants et désinfectants. Il faut aussi étendre le dépistage le plus largement possible au-delà des seules personnes pour lesquelles on craint un état de contamination avancée. L’expérience coréenne montre aussi l’intérêt d’une surveillance matérielle (caméras, antennes), numérique (applications, logiciels) capable de détecter les concentrations d’infection, d’en alerter la population pour optimiser l’évitement social. Ces moyens permettent un ciblage précis des endroits à confiner, pour limiter l’impact sur le quotidien de la population. Enfin, il faut bien sûr orienter les dépenses publiques vers les laboratoires et centres de soins, publics et privés, capables d’offrir un dépistage rapide et un traitement adéquat des malades dont l’état se dégrade.
Nécessité de dépenses considérables et immédiates
À la différence des mesures de soutien aux entreprises, ces moyens exigent des dépenses considérables et immédiates. C’est ce qu’ont pu faire, à plus ou moins grande échelle, les pays servant de modèle de gestion de la pandémie, comme la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, l’Allemagne et les pays Scandinaves. C’est ce que peinent à faire les pays proportionnellement les plus affectés, comme l’Italie, l’Espagne et la France (Tableau 1).
Il est intéressant de remarquer que ces pays submergés par la crise sanitaire font partie de ceux ayant les finances publiques les moins bien gérées (Tableau 2). Leurs gouvernements ont moins de marges de manœuvre pour agir de façon directe et immédiate contre la pandémie. Ils doivent peser plus longuement leurs décisions pour évaluer leur capacité de surendettement auprès des créanciers, mais aussi auprès de leurs partenaires au sein de l’Union européenne. C’est tout le contraire des pays ayant des finances publiques saines, voire très saines. Ayant accumulé des surplus au fil des années, ces pays peuvent facilement et sans attendre décider de dépenser plus. Ils n’ont pas à se soucier, pour le moment, d’un surendettement et d’éventuelles inquiétudes de créanciers ou partenaires. Autrement dit, des finances publiques saines se traduisent par une marge de manœuvre plus grande en cas d’urgence. La responsabilité budgétaire a du bon.
Évidemment, la marge de manœuvre rendue possible par des finances publiques saines n’est pas le seul facteur expliquant une meilleure réactivité des pays « modèles ». Certains d’entre eux sont très endettés (Japon, Singapour). N’oublions pas que l’effort et le succès n’est pas uniquement public et que l’articulation public-privé est déterminante. Les kits de dépistage, les équipements et les traitements médicaux, la technologie de surveillance et de traçage sont largement développés et fournis par le secteur privé, dont l’État n’est qu’un client. Des finances publiques saines permettent justement aux gouvernements budgétairement responsables de mieux faire usage de ce secteur privé innovant. Il est également essentiel que ce secteur privé dispose d’une flexibilité adéquate pour continuer à innover, développer et fournir rapidement ce qui est nécessaire pour combattre la pandémie. Et c’est encore un autre aspect du succès des pays « modèles », les entreprises y subissent moins de contraintes que les pays « submergés » (Tableau 3).
Une bonne réactivité face à la pandémie actuelle n’implique pas d’être bon sur tous ces facteurs. La Corée du sud réglemente davantage que d’autres pays, mais elle reste plutôt libre sur le plan économique et ses finances publiques sont saines. Singapour est surendetté, mais compense largement ce problème par des marchés très libres et flexibles. Au global, on peut penser qu’un mauvais positionnement dans ce type d’indicateur explique en partie la mauvaise gestion des crises sanitaires qu’on y constate.
Monétiser le surendettement grâce à la souveraineté monétaire
D’autres pays, comme les États-Unis et le Japon, comptent sur leur souveraineté monétaire pour monétiser leur surendettement. Ces pays ne rechignent ainsi pas à prendre des mesures immédiates et parfois spectaculaires. Ils savent que leur banque centrale respective peut tout simplement racheter leurs dettes. La situation de l’Espagne, de l’Italie et de la France est radicalement différente. Leur souveraineté monétaire est partagée avec celles d’autres pays de la zone euro et ils ne peuvent donc pas compter sur une monétisation immédiate de leur surendettement. Contrairement à la Réserve fédérale américaine ou la Banque du Japon, la Banque centrale européenne privilégie les opérations de refinancement, y compris dans le cadre de politiques d’assouplissement quantitatif et autres politiques monétaires non-conventionnelles. Elle se prête rarement à des opérations de rachat définitif de dette publique. Pour ce faire, une concertation préalable entre les membres de la zone euro sera nécessaire. Les rumeurs sur les euro-obligations constituent un signal fort en faveur de ce scénario. Néanmoins, on peut s’attendre à ce que les pays aux finances saines ne cèdent pas sans avoir des garanties de bonne conduite des pays financièrement déficitaires.
En conclusion, un budget en règle, des marchés flexibles et une souveraineté monétaire responsable auraient pu faire la différence pour la France pendant cette pandémie. À défaut, nous en sommes réduits à confiner et prendre notre mal en patience, un remède coûteux.