Les surplus budgétaires, des atouts face aux cygnes noirs
La règle du zéro déficit était encore, il y a peu, considérée comme une insulte à la faible croissance européenne et l’Allemagne était vilipendée pour s’efforcer de la respecter. Aujourd’hui, elle est mieux armée financièrement que la France pour répondre à la crise. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans Les Échos.
Qui se souvient – au moment où nous traversons une crise sanitaire majeure – des critiques répétées à l’égard de l’Allemagne et de ses surplus budgétaires. La règle du zéro déficit était encore, il y a peu, considérée comme une insulte à la faible croissance européenne.
Face à la crise du Covid-19, la chancelière Merkel a décidé d’abandonner la règle du « schwarze Null » visant l’équilibre du budget annuel. Tout comme lors de la dernière crise financière, les Allemands se montrent capables d’adapter leur rigueur budgétaire. Rigoureux dans les périodes normales, ils ont des marges de manoeuvre dans les situations exceptionnelles. Cela ne constitue en aucun cas le sacrifice d’une vache sacrée mais au contraire sa consécration : les Allemands sont en position de répondre de manière pragmatique, efficace et rapide à la crise parce qu’ils en ont les moyens. Ce n’est malheureusement pas le cas de la France. Elle devra faire face à ce nouveau cygne noir sans les marges de manoeuvre financières de sa voisine.
Covid-19 est un cygne noir
Le « Cygne noir » est le titre d’un ouvrage célèbre de l’essayiste et ancien trader Nassim Nicholas Taleb. Il y met en garde contre des événements se situant en dehors du cadre de nos anticipations ordinaires. Rien dans le passé n’indique de façon convaincante que ces événements aient des chances de se produire. Aussi, ils seront exclus du champ des possibles, alors qu’ils sont de nature à avoir un impact extrême. Notre nature humaine nous pousse à élaborer après coup des explications concernant leur survenue, les rendant aussi explicables et prévisibles.
Covid-19 est un de ces cygnes noirs. Pour y faire face, outre le fait d’être capable de changer rapidement de logiciel mental, il faut pouvoir compter sur de la redondance. Il y a de nombreuses manières d’en créer, en particulier en veillant toujours à se garder des marges de manoeuvre financières. Du point de vue des Etats, cela signifie avoir des réserves, sous la forme d’excédents budgétaires susceptibles d’être mobilisés dans les situations extrêmes.
La France, sans matelas de sécurité
Il n’est ainsi pas étonnant de constater des finances publiques saines parmi les pays qui gèrent efficacement la crise sanitaire. La Corée du Sud, qui fait figure de modèle en la matière, affichait, selon les derniers chiffres annuels de l’OCDE, un excédent de 2,8 % du PIB. De même, l’Allemagne, avec un excédent de 1,9 % du PIB, est aussi en bonne position face à la gestion de la crise. Elle est en situation de mobiliser des ressources rapidement pour les allouer là où elles sont le plus urgemment nécessaires (en particulier les soins et le dépistage à grande échelle).
La France ne dispose malheureusement pas de ce matelas de sécurité. Depuis le milieu des années 1970 et en dépit de phases d’embellie économique, les comptes publics restent déséquilibrés, avec un décalage très significatif par rapport à la majorité des pays de l’Union européenne. Depuis la dernière crise financière, la France a moins bien récupéré ses marges de manoeuvre financières que le reste de l’UE, la crise ayant eu un impact trois fois plus important sur ses finances publiques.
Ne nous y trompons pas, l’absence de surplus budgétaires n’est pas anodine et sans conséquences. Elle est l’une des multiples facettes de notre impréparation. Elle nuit à notre réactivité et à notre capacité à dépenser au moment où se posent des questions de vie et de mort dans nos établissements de santé publics et privés.