Pas de relocalisations sans allègements fiscaux et réglementaires
Les insuffisances françaises face à la crise du Covid19 donnent lieu à une attaque en bonne et due forme de la mondialisation. On assiste à une multiplication des discours visant à retrouver notre souveraineté, notamment dans le domaine sanitaire. Mais l’enjeu pour la France est, avant tout, de corriger ses faiblesses internes. Extraits d’un entretien publié dans Atlantico le 13 avril 2020.
Atlantico : Quel est le poids de la fiscalité française dans la délocalisation de certaines productions, pourtant essentielles notamment en temps de crise sanitaire ? Comment réunir les conditions fiscales pour un retour de ces productions en France ?
Nicolas Marques : La fiscalité française pousse aux délocalisations et aux importations. Nous avons la triple spécificité d’avoir des charges sociales, des impôts sur les sociétés et des impôts de production très élevés. Ces fiscalités expliquent la persistance d’un chômage anormal en France. Avec plus de 8 % de chômage, soit 1,5 points de plus que la moyenne européenne, nous avons 500 000 chômeurs en trop par rapport à nos voisins. Pour résorber ce chômage et préserver, voire reconstituer, des capacités de production, nous aurions besoin d’une fiscalité plus clémente.
Le grand public commence à comprendre qu’augmenter les charges sociales conduit les entreprises à des comportements malthusiens de la part des employeurs. Mais il est moins réceptif à l’intérêt pour la collectivité de baisser la fiscalité sur les entreprises. Pourtant, d’un point de vue économique, cette fiscalité pénalise, au-delà des actionnaires, les consommateurs, les salariés et les chômeurs. Elle renchérit les prix de vente, incite à la modération salariale et aux délocalisations.
Si l’on veut relocaliser, la priorité est de réduire massivement les impôts de production. La France est la championne en la matière, avec 109 milliards d’impôts de production en 2018. C’est autant que 23 pays de l’Union européenne, Allemagne comprise. Ces impôts sont particulièrement nocifs. Ils sont calculés en amont du résultat, par exemple sur le chiffre d’affaires, la masse salariale ou la valeur ajoutée. Ils pénalisent les activités en fonction de critères arbitraires, indépendants de leur rentabilité. Cela incite les entreprises à délocaliser les productions à faible valeur ajoutée, ce qui explique pourquoi l’essentiel de la fabrication de masques et matériels de protection se fait à l’étranger.
Les impôts de production français sont aussi particulièrement excessifs dans le domaine du médicament. Ils représentent de l’ordre de 8 % du chiffre d’affaires ce qui, là encore, surenchérit les coûts de production. La France est le pays d’Europe dans lequel l’excédent brut d’exploitation de l’industrie pharmaceutique est le plus faible, avec à peine 9 % du chiffre d’affaires, contre 22 % dans l’Union européenne en 2017. Conséquence, les groupes pharmaceutiques sont incités à investir moins et à délocaliser. C’est ce qui explique pourquoi 60 % de la poudre de paracétamol, nécessaire à la fabrication du Doliprane, provient de Chine.
Atlantico : L’administration française et notamment les normes imposées aux entreprises, a-t-elle eu un impact dans la délocalisation de ces productions ?
Nicolas Marques : Nos règlementations sont, en effet, une source de rigidités. Elles complexifient l’action des entreprises dans tout une série de domaines, des investissements à la gestion du personnel. Selon la Banque mondiale, la France est seulement 32ème en matière de facilité à conduire une activité économique, ce qui nous place entre la Chine et la Turquie, après une grande partie de voisins européens. La surrèglementation française se surajoute à la tendance réglementaire européenne. Dans beaucoup de domaines nous sur-transcrivons les directives, ce qui contribue à renforcer notre carcan réglementaire.
A cela s’ajoute un interventionnisme capitalistique intéressé ou moralisateur. La loi « Florange » et les droits de vote double, l’obligation de domiciliation fiscale en France des patrons des grandes entreprises, les interférences publiques en matière de dividendes exaspèrent et poussent les entreprises à s’expatrier. Ce n’est pas un hasard si Airbus et STMicroelectronics sont de nationalité néerlandaise et si le futur groupe Fiat Chrysler-PSA devrait les rejoindre. Nos voisins néerlandais sont 25ème dans l’indice de liberté économique de l’Institut Fraser, là où la France est seulement 50ème sur 162. Ajoutons que ce mouvement touche les entreprises de toute taille, nombre de dirigeants de PME ont fait le choix de migrer en Belgique ou Suisse pour se mettre, au moins à titre personnel, à l’abri de la bureaucratie française.
Atlantico : En somme, l’impression générale est que les systèmes fiscaux et administratifs de la puissance publique française sont trop « lourds », faut-il aller vers une simplification globale pour espérer retrouver une autonomie dans certains secteurs clés ?
Nicolas Marques : Il faudrait aller vers des simplifications globales. La fiscalité et la surrèglementation française étouffent l’économie, en poussant les entreprises et les individus à s’exiler. Cette inflation fiscale et réglementaire pénalise toute la société, bien au-delà de la production de biens et services marchands.
On en pâtit même dans la lutte contre le coronavirus, entravée par des normes tatillonnes, contradictoires et contreproductives. Alors que nous manquons de masques, l’Etat s’est arrogé le droit de réquisitionner les stocks, productions et importations à venir. Etant lui-même prisonnier de règles d’achat public inadaptées, il n’a pas réussi à se procurer en direct les matériels de protections qui manquent. Notre surrèglementation se retourne aussi contre nous lorsqu’il s’agit de déployer une politique massive de tests. Jusqu’au 7 mars, la quasi-totalité des laboratoires privés de biologie médicales privés n’avait pas le droit de faire des tests de dépistage pour des raisons normatives. De même, il a fallu attendre le 5 avril pour que les laboratoires vétérinaires publics soient autorisés à intervenir, alors qu’ils disposent de capacités de test massives et connaissent de longue date les coronavirus.
Malheureusement, l’expérience montre que nous ne sommes pas les plus efficaces lorsqu’il s’agit d’alléger les contraintes administratives. En dépit des efforts déployés par l’actuel gouvernement, la France est 41ème et dernière dans l’Indice de flexibilité de l’emploi publié par le Lithuanian Free Market Institute, avec la méthodologie de la Banque mondiale.
De même, la remise à plat et la réduction des impôts de production se fait attendre. Ce sujet est sur la table depuis des années, mais on reste au stade des effets d’annonce. Dans le plan d’urgence gouvernemental, il n’y a aucun gel d’impôt de production. Pourtant, la lente agonie de l’économie française risque de s’accélérer dramatiquement avec la pandémie et le confinement. Une partie significative de l’économie est à l’arrêt, chose que l’on ne constate pas en Allemagne. Si les impôts de production ne sont pas massivement réduits, les discours sur l’intérêt de relocaliser les productions resteront des vœux pieux.