Nos retraites sans immunité contre la Covid et l’imprévoyance
On sait que la Covid-19 touche particulièrement les retraités, cette pandémie étant bien plus létale pour les plus de 65 ans qui représentent plus de 90% de la surmortalité. On découvre qu’elle affecte aussi particulièrement les retraites par répartition françaises. Avec la chute de l’activité, les cotisations rentrent moins vite que prévu, ce qui creuse les déficits. Un coup dur pour nos régimes de retraites, moins diversifiés et donc moins sécurisés qu’à l’étranger. Cette crise devrait nous conduire à revisiter nos croyances, en accordant une place à la capitalisation et en constituant des réserves significatives pour sécuriser nos régimes par répartition. Un article de Nicolas Marques rédigé pour Capital.
En France, on aime la répartition, qu’on pratique de façon non sécurisée. Elle est souvent présentée comme la façon plus sûre de financer les retraites, nous mettant à l’abri des aléas économiques. Consommer immédiatement les cotisations retraites, sans en placer une partie pour la faire fructifier ou constituer des réserves, immuniserait notre système de retraite vis-à-vis des marchés financiers et réduirait les risques globaux.
Mais l’actualité trouble une fois de plus cette vision caricaturale. Avec la pandémie, l’activité a chuté et les cotisations sociales sont moins bien rentrées que prévu. En 2020, les ressources du système de retraite baissent de 5,4 % par rapport à 2019, suite à la contraction très significative de la masse salariale du secteur privé (-8,4 %). Bilan, les caisses de retraites s’appauvrissent et leurs déficits explosent. Alors que les déficits représentaient 0,1 % du PIB en 2019, ils devraient atteindre 1,1 % du PIB en 2020. Cette dégradation va durer, les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites tablant sur plus de 0,5 % de déficit par an en 2024. Sur quatre ans, ce sont 70 milliards d’euros qui vont manquer, dont plus de la moitié suite à la pandémie.
Cette baisse brutale des recettes est d’autant plus problématique que, contrairement à nos voisins, nos retraites sont financées quasi exclusivement par les prélèvements obligatoires, sans qu’on dispose de provisions ou de réserves significatives permettant d’amortir les chocs économiques. En France, les cotisations sur les actifs ou les impôts financent 98 % des pensions retraites. Non contents d’avoir moins de retraites par capitalisation qu’ailleurs, nous avons des régimes par répartition surdéveloppés ayant des réserves sous-développées. Nous sommes dans la situation d’un cycliste circulant sur une roue et sans casque. Chez nos voisins ayant à la fois plus de capitalisation et plus de réserves pour leurs régimes par répartition, le choc économique lié à la pandémie est moins rude.
La crise ne représente pas une catastrophe pour les fonds de pension.
La crise ne représente pas une catastrophe pour les fonds de pension. Bien sûr, avec la pandémie les sommes placées pour préparer les retraites futures ont perdu de la valeur, mais ces pertes sont en grande partie théoriques. Il n’est pas nécessaire de vendre aujourd’hui les provisions, placées à long terme pour servir des pensions de retraites qui seront liquidées dans des années. Pour les fonds de pensions, l’important est que leur stock d’épargne se bonifie sur la longue période. Certes, la baisse des cours réduit la valeur actuelle de leurs provisions, mais l’expérience a montré qu’elle sera suivie, tôt ou tard, de hausses permettant de récupérer le terrain perdu. On constate déjà que les cours remontent vers leurs niveaux d’avant crise, voire les dépassent. La capitalisation n’encaisse pas la perte immédiatement et a le temps de se refaire.
La position de nos régimes par répartition est bien moins avantageuse. Leurs pertes ne sont pas virtuelles, mais réelles. Elles ne portent pas sur des provisions, mais sur des ressources qui manquent d’ores et déjà pour servir immédiatement les retraites. Selon le COR, il faudra attendre 2024 pour retrouver les ressources avant crise et le manque à gagner sera bien plus durable.
Facteur aggravant, nos régimes par répartition manquent des réserves permettant d’amortir les chocs économiques. Dans la plupart des pays avancés, les retraites par répartition sont assorties de réserves significatives. Elles permettent de faire face aux aléas, en évitant de générer des déficits publics lorsque les flux de cotisation se réduisent. Ce principe de bonne gestion a été mis en œuvre dans les régimes complémentaires et par les professions libérales, mais il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que l’Etat constitue un Fonds de réserve des retraites. Ce fonds n’a pas été assez alimenté et nos pouvoirs publics ont pris l’habitude de le vider au moindre prétexte, au lieu de garantir sa montée en puissance. Ainsi avant que la pandémie n’éclate, la France disposait de deux fois moins de réserves que la moyenne des pays développés (6 % du PIB vs 14 % pour l’OCDE). L’écart était encore plus élevé avec des pays à forte tradition sociale, tels que la Suède qui a 31 % du PIB de côté pour protéger sa répartition des chocs économiques.
Moins précautionneux qu’ailleurs, nos pouvoirs publics proposaient même d’accélérer l’extinction du fonds de réserve et des réserves des caisses de retraites du privé dans le cadre de la mise en place du régime universel des retraites. Une configuration qui rappelle étrangement l’imprévoyance en matière de masques. L’Etat, toujours à la recherche d’économies qui n’en portent que le nom, avait dilapidé ses réserves. Incapable de se fournir sur les marchés mondiaux pour reconstituer les stocks manquants, il en a été réduit à réquisitionner les réserves et commandes d’acteurs plus responsables ou efficaces que lui, contribuant à amplifier la pénurie au lieu de la résorber.
Avec la pandémie, la réforme des retraites a été mise entre parenthèse. Il faudra avoir la lucidité et le courage de la rouvrir en acceptant les enseignements de la crise. Notre système de retraite est éminemment fragile. A l’opposé de ce que proposait la réforme préparée par Jean-Paul Delevoye le bon sens consiste, d’une part, à organiser la montée en puissance des réserves pour sécuriser la répartition et, d’autre part, renforcer les capitalisations collectives.