Retraites, les manœuvres financières continuent
Officiellement, la réforme des retraites est à l’arrêt et la question se pose de savoir si et quand elle redeviendra d’actualité. Le projet de fusion des caisses de retraites existantes a achoppé sur les multiples oppositions d’acteurs craignant, à tort ou à raison, que le changement soit synonyme de dégradation. Dans les faits, la réalité est malheureusement différente. Texte de Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari publié dans Contrepoints.
Le projet de fusion des caisses de retraites existantes a achoppé sur les multiples oppositions d’acteurs craignant à tort ou à raison que le changement soit synonyme de dégradation. Dans les faits, la réalité est malheureusement différente.
Si les démarches visant à uniformiser les promesses faites aux futurs retraités sont à l’arrêt suite au dernier conflit social et à l’apparition de la pandémie, les manœuvres de fusions financières continuent. Elles visent à centraliser la trésorerie dans les mains de l’État et à réduire les réserves, pourtant très utiles, comme le montre la crise actuelle. Ces tendances concourent à dévitaliser les pratiques responsables des caisses existantes, ce qui n’est pas une bonne nouvelle du point de vue des assurés sociaux.
Côté Agirc-Arrco, l’étau se resserre. À partir du 1er janvier 2022, c’est l’Urssaf qui assurera le recouvrement des cotisations dues au titre des régimes de retraite complémentaire obligatoire du privé. L’État centralisera les 85 milliards de cotisations destinés chaque année à financer les retraites complémentaires du privé. Cette décision, en apparence technique, est loin d’être anodine.
Centralisateur des capitaux, l’État détiendra tous les pouvoirs, les caisses Agirc-Arrco perdant toute leur autonomie financière. Comptables des promesses faites aux salariés, elles dépendent des cotisations des salariés pour verser les pensions de retraites, selon la logique de la répartition.
Des inquiétudes existent aussi sur le devenir des réserves. Comme toutes les caisses de retraites responsables, l’Agirc-Arrco a accumulé au fil des années des réserves, représentant 65 milliards d’euros fin 2019. Placées en produits obligataires et en actions, ces réserves ont généré un gain de l’ordre de un milliard en 2019 permettant à l’Agir-Arrco d’être à l’équilibre. Mais la Covid a fragilisé les comptes, avec 7 milliards d’euros de pertes attendues en 2020.
Naturellement, les réserves serviront d’amortisseur, ce qui pose la question de leur reconstitution une fois la pandémie passée. Dans le cadre de l’accord sur la retraite complémentaire Agirc-Arrco de mai 2019, les partenaires sociaux avaient convenu qu’ils feraient en sorte d’avoir au moins la moitié des allocations en réserves à échéance de 15 ans. Il n’est pas sûr qu’ils puissent atteindre cet objectif et que l’État leur laisse les moyens de l’atteindre.
Sous couvert de rationalisation vertueuse, l’État privilégie le court terme sur le temps long ; et en position de juge et partie, il a multiplié les mauvaises décisions en matière de retraite.
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics s’attellent à minimiser l’importance des réserves. Ils ont notamment brisé la montée en puissance du Fonds de réserves des retraites (FRR) en dépit de son succès. Ce fonds, créé en 1999, était une action intéressante de Lionel Jospin, qui avait par ailleurs bloqué la mise en place des fonds de pensions, en refusant de promulguer les décrets d’application de la Loi Thomas. Le FRR s’est moins bien développé que prévu en raison de l’inconstance de l’État, toujours à la recherche de capitaux.
Dès 2011, il a commencé à être vidé pour accélérer le remboursement de la dette sociale. Une aberration – la gestion du FRR dégage un rendement cinq fois supérieur au coût de financement de la dette cantonnée à la CADES – censée durer jusqu’à son extinction en 2022. Mais avec la crise, l’échéance a été prolongée jusqu’en 2033. Taillable et corvéable à merci, le FRR a aussi été mis à contribution pour éponger les déficits de l’assurance maladie et pourrait servir à financer la dépendance.
La crainte de toutes les caisses de retraites privées ayant des réserves est naturellement de subir le même processus, avec un État démantelant les modes de gestion responsables mis en place. On les comprend. Sous couvert de rationalisation vertueuse, l’État privilégie le court terme sur le temps long ; et en position de juge et partie, il a multiplié les mauvaises décisions en matière de retraite. Dès 1853, il fermait d’autorité 25 caisses de retraites par capitalisation permettant à ses employés d’épargner en vue de leur retraite.
Cette décision généralisait le financement des retraites des fonctionnaires d’État par le budget en créant une bombe à retardement. On connait la suite, avec des retraites jamais provisionnées, financées par les contribuables et de la dette. Cent soixante-dix ans plus tard, nous faisons toujours les frais de cette démarche imprévoyante qui, ironie de l’histoire, motive une réforme des retraites centralisant encore plus les pouvoirs dans les mains de l’Etat. Le contraire de la bonne gestion, de la diversification des risques et de la recherche d’anti-fragilité chère à Nicholas Nassim Taleb…