Biden et la mythologie du New Deal
Si le New Deal fut un succès, c’est avant tout en matière de communication politique, mais certainement pas en termes d’emplois. Texte d’opinion par Nikolai G. Wenzel, chercheur associé à l’Institut économique Molinari, et Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans Le Temps.
Les engagements sont pris. L’Amérique va investir massivement dans les transports (621 milliards de dollars pour l’électrique et les infrastructures), les logements, les écoles et la modernisation des réseaux d’électricité et d’eau (561 milliards), les subventions à la fabrication et à la recherche et développement (480 milliards), les soins aux personnes âgées et aux handicapés (400 milliards) et le haut débit et formation professionnelle (200 milliards).
Vus d’Europe, il est tentant de faire le lien avec le New Deal. Cette série de programmes initiés par Franklin Delano Roosevelt entre 1933 et 1939 est généralement présentée de façon très élogieuse eu égard à ses effets réels. Comme le prédisait à juste titre Alfred Sauvy dans De la rumeur à l’histoire, le New Deal est un épisode curieux de l’histoire contemporaine « où la légende, fille de la rumeur et de la bonne pensée, a joué le rôle le plus important et continuera à se cristalliser ».
Soulignons d’abord que la démarche de Biden est bien moins révolutionnaire que celle de Roosevelt. Ce dernier gouvernait à une époque où les dépenses publiques étaient bien moins significatives. Avant la première guerre mondiale, le poids de l’état fédéral représentait moins de 3 % du PIB. Pendant l’entre-deux guerres – à l’apogée du New Deal – ce poids s’est rapproché des 10 %. Après la deuxième guerre mondiale, il a crû à 20 % pour atteindre 31 % du PIB. En ajoutant les collectivités locales, les dépenses publiques représentaient 38 % du PIB avant la pandémie aux Etats-Unis. Ce ratio peut sembler faible par rapport à l’Union européenne (48 %), mais les comparaisons en pourcentages de PIB sont trompeuses. Lorsqu’on raisonne par habitant, les américains dépensent 20 % de plus dans leurs services publics que les européens.
Vus d’Europe, les montants annoncés par le président Biden peuvent paraitre démesurés. Mais ses annonces ne constituent pas une révolution avec la précédente mandature. En mars 2020, le CARES Act conçu par Donald Trump pour lutter contre la pandémie représentait déjà 2 000 milliards de dollars de dépenses. En décembre 2020, le congrès américain votait un supplément, le Coronavirus Response and Relief Supplemental Appropriations Act qui ajoutait 833 millions de dollars pour lutter contre COVID-19 et ses effets sur la société et l’économie. Il y a quelques jours, début mars, le président Biden signait un autre plan massif, l’American Rescue Plan Act¸ avec 1 900 milliards de dollars de dépenses de soutien aux ménages, aux services publics et à la santé. En un an, de mars 2020 à mars 2021, l’Etat fédéral américain a annoncé 6 700 milliards de dollars de dépenses. Si Biden s’annonce plus prodigue, avec 3 900 milliards de dollars, Trump n’était pas en reste avec 2 800 milliards. Et lorsqu’on intègre les effets calendrier, les investissements annoncés par Biden s’étalant sur 8 années, soit sur deux mandats, la balance est encore plus équilibrée entre l’ancien et le nouvel occupant du bureau ovale.
Est-ce que promesses de Joe Biden se concrétiseront, avec des créations de « bons emplois » mieux rémunérés ? Rien n’est moins sûr. Soulignons d’abord que le marché américain du travail n’est pas en crise. Certes, le chômage, monté à 14,8 % en avril 2020, était encore à plus de 10 % en juillet 2020, un seuil rappelant le pic de 2009. Mais en février 2021, le chômage était retombé à 6,2 %.
Surtout Joe Biden prend un risque significatif vis-à-vis des salariés américains. Pour financer son plan, il a prévu d’accroître la fiscalité sur les entreprises, en portant notamment le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 % dans le cadre du Made in America Tax Plan. Mécaniquement, ces hausses d’impôts sur les entreprises rejailliront sur l’économie et les ménages. On sait depuis Adam Smith que les entreprises reportent les impôts sur les consommateurs. On sait grâce à l’économiste Arnold Harberger que, quand elles n’y arrivent pas, les entreprises ont besoin pour survivre de reporter la fiscalité sur les salariés ou les actionnaires. Les marchés des biens et des capitaux étant globalisés, une part significative des hausses d’impôts prévues par Joe Biden sera reportée sur les salariés. Dans les secteurs exposés à la concurrence, ils bénéficieront d’augmentations de salaires moindres et les créations d’emplois seront moins dynamiques, à l’opposé de l’engagement du président démocrate. C’est exactement ce qui s’était produit sous la présidence de Roosevelt. Son New Deal fut un échec en termes de création d’emplois. En 1939, le chômage américain était encore à 17 %. C’est seulement avec l’entrée en guerre des Etats-Unis qu’il repassera sous les 5 %, en 1942.
Le souvenir des grands travaux des années 1930 a donné, à tort, l’impression d’une politique expansionniste couronnée de succès. La réalité fut différente, avec une hausse considérable des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires. Sous Roosevelt, le gouvernement fédéral a augmenté l’impôt sur le revenu, les droits d’accise, les droits de succession, les différentes formes d’impôts sur les sociétés. Comme le souligne l’économiste Américain Tyler Cowen, « si l’on tient compte de toutes ces augmentations d’impôts, la politique fiscale du New Deal n’a pas fait grand-chose pour favoriser la reprise ». En raison de ces mauvais choix et d’erreurs réglementaires – avec la multiplication des tracasseries administratives – la reprise des années 1930 fut chaotique.
Si le New Deal fut un succès, c’est avant tout en matière de communication politique. Aussi, quatre-vingt-dix ans après, revivre le New Deal n’est pas nécessairement un objectif fédérateur pour le peuple américain. Il est probable que Joe Biden devra faire des concessions significatives s’il veut faire passer son plan rapidement, en s’assurant du soutien des démocrates et des républicains modérés qu’il aura besoin de rassurer.
Nikolai G. Wenzel est professeur des universités en économie à Fayetteville State University (USA) où il détient la chaire L.V. Hackley pour l’étude du capitalisme et de la libre entreprise. Il est chercheur associé à l’Institut économique Molinari. Nicolas Marques est Directeur général de l’Institut économique Molinari.
Cet article, publié dans le Temps en Suisse est une adaptation d’un article publié par l’hebdomadaire l’Express en France.