Avec moins d’enfants, la répartition appauvrit actifs et retraités
Pour une raison structurelle indépendante du retour de l’inflation, le pouvoir d’achat en France est mis à mal depuis des décennies. Le recours quasi exclusif à la répartition pour financer les retraites augmente le coût du travail et comprime les salaires nets depuis le contre choc du baby-boom. Au-delà des aménagements ponctuels mis en place pour préserver le pouvoir d’achat, avec des primes, heures supplémentaires défiscalisées et monétisation des RTT, le cœur du problème reste le mode de financement des retraites françaises. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans Capital.
Le pouvoir d’achat, qui découle de la capacité à créer de la richesse, est au cœur des préoccupations depuis des années. L’Hexagone a connu une croissance économique deux fois plus faible que le reste des pays européens dans la décennie 2010 (4 % vs 8 %), ce qui a pesé sur la croissance des rémunérations. Ce phénomène est accentué par une particularité française : le poids des cotisations sociales. Elles dépassent les salaires nets d’impôts selon notre dernier baromètre annuel (102%). Une situation unique dans l’Union européenne où les cotisations sociales représentent en moyenne 52% des salaires nets d’impôts. Contrairement aux idées reçues, ce différentiel ne s’explique pas par la générosité de notre Sécurité sociale, tous nos grands voisins européens ayant des protections sociales développées.
Quand la natalité baisse, la répartition est à la peine
Ce surcoût français est avant tout la conséquence du financement quasi exclusif des retraites en répartition. Cette dernière déplace le pouvoir d’achat des actifs vers les retraités sans en créer, contrairement à la capitalisation. Elle est problématique pour le pouvoir d’achat des actifs compte tenu de la baisse de la natalité. Lorsque la répartition a été généralisée en 1945, la situation était favorable. Il y avait 2,8 personnes en âge de travailler pour financer un retraité bénéficiant d’une petite pension, à une époque où la retraite mobilisait seulement 5 % du PIB. Aujourd’hui, la situation est radicalement différente. Il y a deux fois moins de cotisants pour financer un retraité avec une pension significative, dans un pays où les retraites absorbent plus de 14 % du PIB. Par conséquent, les cotisations sociales ont explosé, ce qui renchérit le coût du travail et comprime les salaires nets. Cet effet ciseaux génère une double peine, avec un manque de compétitivité et un pouvoir d’achat des salariés amputé par des cotisations retraite qui représentent 28 % des salaires bruts. La situation est moins problématique chez nos voisins ayant recours à la capitalisation en complément de la répartition. Une partie des pensions est financée par les gains générés par les placements (dividendes, plus-values), ce qui permet d’avoir des cotisations retraite moindres et des salaires nets plus élevés. Les retraites coûtent, par exemple, moins cher aux salariés néerlandais avec 25 % de cotisations pour les retraites publiques et les fonds de pension privés, soit 3 points de moins que chez nous. Ils ont en contrepartie un taux de remplacement futur de 89 % du salaire net, contre 74 % dans l’Hexagone.
Dans le secteur public relevant de l’Etat, la situation est encore plus dégradée. Il ne reste plus que 0,9 actif pour financer un retraité. Ainsi, les cotisations retraite des fonctionnaires civils représentent 85 % de leurs traitements bruts. Sur certaines fiches de paie, il y a désormais autant de cotisation retraite que de traitement net de cotisations sociales. Les pensions – qui représentent 30% des dépenses de certains ministères – obèrent toutes les marges de manœuvre des administrations centrales. D’où le caractère récurrent des déficits, le rapport qualité-prix médiocre des prestations publiques françaises et l’incapacité de l’Etat à bien rémunérer ses personnels méritants.
Quand la natalité baisse, le tout répartition se retourne contre les actifs et retraités
Pour dépasser ces contraintes structurelles, il faudrait accorder plus de place à la capitalisation collective, pour épauler une répartition pénalisée par un démographie chancelante. Ce modèle a été testé dans le secteur privé, par la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), et le public, par l’Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP). Dans les deux cas, c’est un succès. Depuis 1990, les pharmaciens ont financé plus d’un milliard d’euros de retraites grâce aux gains générés par la capitalisation collective mise en place par la CAVP. Depuis 2006, les fonctionnaires ont accumulé 42 milliards dans l’ERAFP, avec un taux de rendement moyen de 5,6 %. Si l’on veut desserrer durablement l’étau autour du pouvoir d’achat, c’est la seule issue. Qu’on se le dise, la défense du pouvoir d’achat passe par une réforme des retraites qui ne se contente pas d’augmenter la durée de cotisation.