Brider la téléconsultation, un contresens pour les patients et les finances publiques
Au nom de la lutte contre les abus, les députés ont restreint le recours à la téléconsultation. Un comble, à l’heure où l’épidémie de Covid-19 rebondit et où les Français ont du mal à se déplacer. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Chercher à brider la télémédecine en plein rebond du Covid-19, au moment où des personnes ont du mal à se déplacer faute de carburant, le tout au nom d’abus nécessairement marginaux relève d’une conception étrange des risques à couvrir.
En plein rebond épidémique de la Covid-19, plusieurs députés ont réussi l’exploit de faire adopter un amendement visant à obliger les patients à se déplacer pour faire une téléconsultation. Voté en commission des affaires sociales, cet amendement stipule : « Les actes de téléconsultations doivent être réalisés et accompagnés par un professionnel de santé afin de permettre un meilleur encadrement de cette pratique pour éviter les abus et pour répondre aux attentes des patients. »
Un outil complémentaire
Il faut tout d’abord relativiser la notion d’abus. C’est l’épidémie de Covid-19 qui a permis la banalisation de la téléconsultation. Elle permet aux malades d’accéder à un diagnostic rapide sans courir le risque de contaminer d’autres patients ou leur praticien, ce qui est particulièrement utile. Le nombre de téléconsultations est passé de 40.000 par mois en février 2020 à 4,5 millions en avril 2020, ce qui représentait 27 % des consultations.
Pour autant, ce volume est redescendu rapidement, avec près d’un million d’actes mensuels pendant l’été 2020. La consultation à distance représentait seulement 6 % de la valeur des consultations des médecins libéraux en 2020 et elle oscille autour de 4 % depuis 2021, avec des sursauts liés aux rebonds épidémiques.
Les chiffres montrent à quel point la téléconsultation – loin de prendre le pas sur la médecine traditionnelle – est un outil complémentaire. Si elle générait des abus, nécessairement marginaux, ils devraient donner lieu à la mise en place de contrôles spécifiques et non à une interdiction des téléconsultations à domicile. Personne n’aurait l’idée de supprimer les arrêts de travail au motif que certains en abusent.
Une plus grande adaptabilité
Ajoutons qu’en plein envol du prix du carburant, la possibilité de consulter à distance offre aussi une souplesse à ceux qui ne sont plus en mesure de se déplacer. Le timing de cet amendement ne pouvait pas être plus mauvais dans la mesure où la multiplication des crises nécessite une créativité et une plus grande adaptabilité de l’offre de soins à la demande.
Par ailleurs, on sait que 11 % des Français de plus de 17 ans n’ont pas de médecin traitant. Pour ces derniers, la téléconsultation offre une planche de salut, même si les téléconsultations sont moins bien remboursées par la Sécurité sociale .
Réduire les visites inutiles
Cet amendement montre à quel point le sujet est mal connu. En effet, les études observent que la téléconsultation, loin d’être inflationniste, est une source de gain de temps et d’économie pour les patients et le système de santé. Elle peut améliorer l’orientation des patients à travers le parcours de soins, réduire les visites inutiles, désengorger les services d’urgence et limiter les dépenses de déplacement des patients.
Nous avons montré que son développement, associé à celui de la télé-expertise, permettrait de réduire les frais de déplacement des patients de plus de 290 millions d’euros et à l’Assurance Maladie d’économiser au moins 750 millions d’euros par an. Cette façon de faire est gagnante pour les finances publiques et les patients. Laissons-la se développer au lieu de la brider à un moment où la société a besoin de flexibilité.