Retraites : 884 milliards de déficits occultés depuis 2002
La méthodologie utilisée par le Conseil d’orientation des retraites pour établir la photographie de l’état de santé du système des pensions n’aide pas à comprendre les enjeux. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Express.
Depuis 2002, les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) se suivent et se ressemblent. Ils font état de déficits des retraites relativement limités (67 milliards cumulés sur 21 ans) voire d’excédents (4 milliards en 2022), ce qui accrédite l’idée que les retraites sont « sous contrôle » et les dérapages marginaux. C’est peu ou prou la vision que défendait le candidat Emmanuel Macron en 2017, lorsque qu’il affirmait « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. Les travaux du Conseil d’orientation des retraites, qui font référence, le montrent. » Confronté à la réalité du pouvoir, le président de la République défend désormais l’idée inverse.
Ses opposants ont endossé l’approche visant à minimiser ou nier la réalité des déficits. Ils soulignent que, selon le COR, le déficit des retraites aurait été seulement de 0,14 % du PIB par an depuis 2002.
Ses opposants ont endossé l’approche visant à minimiser ou nier la réalité des déficits. Ils soulignent que, selon le COR, le déficit des retraites aurait été seulement de 0,14 % du PIB par an depuis 2002. Dans le même temps, l’Insee atteste que le déficit public a été en moyenne de 4,30 % du PIB par an. Un observateur non averti pourrait conclure que les retraites sont bien gérées : elles expliqueraient seulement un trentième des déficits alors qu’elles représentent près d’un quart des dépenses depuis 2002.
Mais cette vision rassurante n’est pas fondée. Depuis sa création, le COR a développé une méthode bien particulière de calcul du déficit des retraites, qui vide l’exercice de sa substance. Lors de la publication de son premier rapport en 2001, il a posé par « convention » qu’il n’y a pas de déséquilibre des retraites de l’Etat. Il a considéré que « C’est par convention que ces soldes sont nuls en 2000 ». Depuis, le COR a systématiquement omis de compter dans le déficit les retraites de l’Etat. Il prend seulement en compte les régimes du privé (et notamment l’Agirc-Arrco excédentaire de 5 milliards en 2022) et les collectivités locales (CNRACL).
Le COR n’a jamais tenu compte des déficits des régimes subventionnés par l’Etat (ouvriers d’Etat, SNCF, RATP…). Pourtant, ils sont attestés par de multiples données officielles (Compte général de l’Etat, Cour des comptes…). De même, le COR n’intègre pas les cotisations retraite hors normes des fonctionnaires par rapport au secteur privé qui finance ses retraites avec des cotisations représentant 28 % des salaires bruts. Le Conseil d’orientation occulte les surcotisations des administrations constituant pourtant des subventions d’équilibre (14 % du traitement indiciaire dans les collectivités locales, 57 % pour les fonctionnaires civils d’Etat et 109 % pour les militaires).
Les calculs du COR pas représentatifs de la réalité
Selon le COR, ces subventions n’ont pas à être prises en compte car l’Etat assumerait les déficits des régimes en question. Mais cette argumentation n’est pas conforme aux usages comptables, qui sont de comptabiliser les déséquilibres même s’ils sont financés par ailleurs. Personne n’oserait dire qu’EDF n’a pas été déficitaire de 18 milliards en 2022, au motif qu’il s’agit d’une entreprise publique. C’est pourtant ce que fait le COR depuis sa création en ne comptabilisant pas les déficits des régimes de retraite subventionnés par l’Etat. Ajoutons que prétendre que l’Etat pourrait effacer les déficits des retraites publiques est un argument ne tenant pas compte de la réalité française, les comptes étatiques étant systématiquement déséquilibrés depuis des décennies.
Dans une étude publiée cette semaine par l’Institut économique Molinari, nous comptabilisons les déficits occultés par le COR depuis 2002. Ils représentent 884 milliards d’euros depuis 2002, soit 94 % du déficit des retraites. Nos calculs montrent que l’essentiel du déficit des retraites est intégré dans les comptes de l’Etat et exclu du chiffrage du COR, ce qui pose un évident problème de transparence.
Opacité et tambouille statistique
Cette transparence est clef pour les électeurs et contribuables, mais aussi pour les fonctionnaires fréquemment pénalisés par l’absence de rigueur financière de leur employeur. Peu d’entre eux ont réalisé que le gel du point d’indice est lié à l’envol des dépenses de retraites de l’Etat employeur, qui représentent désormais 72 % des rémunérations qu’il verse. Mécaniquement, l’argent qui manque pour financer les retraites n’est pas disponible pour augmenter les personnels en activité.
Comme aimait à le dire Alfred Sauvy : « Une administration a toujours quelque hésitation à livrer des renseignements sur sa gestion. Pour vivre heureux, vivons cachés est une ligne de conduite de bonne renommée » (Le pouvoir et l’opinion, 1949). Cependant, l’absence de transparence en matière de retraites – première source de dérapages financiers depuis le contre-choc du baby-boom – n’a que trop duré car elle empêche un bon diagnostic et l’émergence des bonnes réformes. Il serait temps que les chiffrages officiels donnent une vision fidèle des déficits des retraites.