Les retraites expliquent la moitié des déficits publics
Officiellement, l’impact du déséquilibre financier des régimes de retraite est relativement faible. En réalité, sans les subventions de l’Etat, il représente la moitié des déficits publics depuis 2002. Chronique par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publiée dans le mensuel Capital d’octobre 2023.
Les retraites alimentent-elles le déficit public et la spirale d’endettement français? Si l’on se fie aux travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR), la réponse est non. Selon l’institution rattachée au Premier ministre, les déficits des retraites sont relativement anecdotiques. Ils représentent en moyenne 0,14% du PIB depuis 2002, ce qui constitue une goutte d’eau par rapport aux déficits publics (4,3% du PIB par an) et au poids des dépenses de retraite (23% du PIB).
Les chiffrages du COR au cœur des débats
Les chiffrages du COR alimentent le débat entre ceux qui pensent que les déficits des retraites ne «dépassent pas l’épaisseur du trait» et ceux qui défendent des réformes à l’image de celle adoptée cette année. Mais est-ce crédible de considérer, avec les premiers, que les retraites n’ont pas besoin d’être réformées ou, avec les seconds, qu’elles seront équilibrées grâce au recul de l’âge de la retraite de quelques trimestres?
Est-il possible que les retraites, qui représentent 40% de la hausse des dépenses publiques depuis 1974, ne jouent qu’un rôle marginal dans la dégradation des finances que subit la France depuis la fin du baby-boom? Pour répondre à ces questions, il faut se plonger dans les arcanes des travaux du COR. Périodiquement, celui-ci publie un rapport qui chiffre le déficit des retraites pour l’année écoulée et projette son évolution dans le temps. Les chiffrages prospectifs – naturellement hypothétiques – suscitent d’abondants débats. Mais le vrai problème, longtemps occulté, réside dans le caractère lacunaire du chiffrage des déficits.
Aucun déficit des régimes publics de retraite selon le COR
Depuis sa création, le COR considère qu’il n’y a pas de déficit des régimes publics de retraite, parce qu’ils perçoivent des subventions de l’Etat qui les mettent chaque année de facto à l’équilibre. Pour mesurer le déficit, le COR ne prend en compte que les régimes de retraite du privé, des collectivités locales et des hôpitaux. Il ne tient pas compte des subventions versées par l’Etat pour équilibrer les régimes de retraite des fonctionnaires ou des autres régimes spéciaux (SNCF, RATP, ouvriers d’Etat…).
Cette incongruité est de plus en plus documentée. En 2021, nous avons publié, avec CroissancePlus, un travail soulignant que les déficits des retraites étaient de 2,8% du PIB, bien au-delà du chiffre affiché par le COR cette année-là (0,6 % du PIB). En 2022, une note du haut-commissariat au Plan réalisée sous la houlette de François Bayrou soulignait que l’assurance vieillesse est en «déficit structurel important» et que ceux qui affirment que nos régimes de retraite sont équilibrés s’appuient sur un constat partiel excluant les régimes de la fonction publique, dont le large déficit est couvert par des fonds publics.
Cet été, un article de Jean-Pascal Beaufret dans la revue «Commentaire» a identifié un déficit des retraites de 2,8 points de <a href= »https://www.capital.fr/economie-politique/pib-tout-savoir-sur-le-produit-interieur-brut-1479712″>PIB</a> pour 2022, alors que le COR considère que les retraites étaient à l’équilibre cette année-là. Par ailleurs, une étude de l’Institut économique Molinari montre que le déficit des retraites est 16 fois plus élevé de 2002 à 2022 lorsqu’on tient compte des subventions d’équilibre versées par l’Etat aux fonctionnaires et aux autres régimes spéciaux. Au lieu d’être de 0,14% du PIB par an comme l’avance le COR, le déficit est de 2,13% par an et les retraites représentent 49% du déficit public, bien loin de l’image d’Epinal d’un sujet sous contrôle.
Le COR a reçu, le 21 septembre, François Bayrou et Jean-Pascal Beaufret pour qu’ils présentent leurs critiques à l’encontre du mode de calcul officiel du déficit des retraites. Espérons que cette démarche permettra d’accoucher d’un mode de calcul plus réaliste. Comme l’exposait le commissaire au Plan en 2022, «pour que les Français puissent débattre de la question des retraites de façon éclairée et qu’ils se forgent une conviction en connaissance de cause, il faut qu’ils puissent se fier à des constats établis de la manière la plus impartiale». La situation actuelle – avec l’essentiel du déficit des retraites absent du calcul du COR mais présent dans le déficit de l’Etat – n’est ni transparente ni saine.