Education : « Les voisins européens de la France font mieux sans dépenser davantage »
Interview de Pierre Bentata, auteur d’une étude sur l’efficacité du système éducatif français, dessine des pistes pour relever le niveau à moindres frais.
L’interview par Kévin Badeau du Point de Pierre Bentata, maitre de conférence à l’Université d’Aix-Marseille et auteur de l’étude de l’IEM sur l’éducation, publié le 7 décembre. En plus du constat quantitatif, il détaille les carences qualitatives françaises et présente les meilleurs pratiques de nos voisins.
Quand on se regarde, on se désole. Et quand on se compare, on se désole encore plus… Les résultats du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) sont tombés ce lundi 5 décembre. Cette grande évaluation, menée par l’OCDE en 2022, évalue les connaissances et les compétences des élèves de 15 ans en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences dans 80 pays développés. Conclusion : le niveau des jeunes Français plonge en mathématiques, chute en compréhension écrite et se maintient en sciences à un niveau moyen.
Ces résultats apparaissent d’autant plus insatisfaisants que l’État dépense toujours plus d’argent public dans son système éducatif. La dépense intérieure d’éducation (DIE) est passée de 97 milliards en 1985 à 180 milliards en 2022, soit une hausse de 85 % en euros constants.
Dans une étude parue le 5 décembre, l’Institut économique Molinari met en évidence cette décorrélation des dépenses engagées avec les performances du système, en comparant la France à 29 pays européens. Verdict : la majorité de nos voisins parvient à faire mieux… avec moins ! Le Point a interrogé Pierre Bentata, auteur principal de l’étude en question. L’économiste, maître de conférences à l’université Aix-Marseille, pointe les défaillances du système français et esquisse des pistes pour en améliorer l’efficacité.
Le Point : Investir davantage dans notre système éducatif pour en améliorer la performance servirait-il à quelque chose ?
Pierre Bentata : Pas forcément. Le niveau de dépense publique est décorrélé de la performance du système éducatif dans les pays développés. Ainsi, ce n’est pas parce que les dépenses intérieures d’éducation de la France ont doublé depuis 1985 que les résultats scolaires de nos élèves sont forcément meilleurs. Nous observons cependant cette même absence de corrélation dans les 29 autres États européens que nous avons étudiés et dont nous comparons l’efficacité des systèmes éducatifs. Petit point méthodologique : ces pays ont en commun de figurer parmi les plus riches, de jouir d’une stabilité politique et d’un régime de droit qui vise à émanciper les individus et à fournir les mêmes chances à tous.
Qu’est-ce que votre étude dit de la performance du système français ?
Nous observons dans le primaire, le secondaire et le supérieur que de nombreux pays dépensent moins que la France pour des niveaux de performances équivalents, si ce n’est supérieurs…
Où se situe la France dans votre classement coût/efficacité dans le primaire et le secondaire ?
La France se classe au 14e rang sur 30, sur la base des résultats 2018, les derniers disponibles au moment de la réalisation de l’enquête. Cette position s’avère moyenne, avec une dépense de 22,5 % du PIB par habitant et 70 % des élèves ne rencontrant aucune difficulté en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. Si les ressources françaises étaient dépensées aussi efficacement que dans les pays en tête du classement – l’Estonie et l’Irlande –, le même résultat pourrait être obtenu en diminuant de 15,3 % la dépense par habitant, soit une économie de 1 200 euros par personne.
Et dans l’éducation supérieure ?
Nous comparons les taux d’emploi des diplômés du supérieur, un à trois ans après la fin de leurs études, en tenant compte des dépenses d’éducation par élève en pourcentage du PIB par habitant. Notre analyse montre que la France est 27e sur 30. Si le rapport coût/efficacité était aussi optimisé que dans les systèmes grec, islandais, letton ou maltais, la France pourrait atteindre le même niveau de performances avec des dépenses 12,1 % inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.
Quel est le secret des systèmes qui fonctionnent mieux avec moins ?
Dans le supérieur, les meilleurs systèmes sont ceux dans lesquels les interactions entre le monde académique et les entreprises sont les plus fortes. Le choix des compétences à transmettre est ainsi plus en adéquation avec les besoins du marché du travail. La France a encore beaucoup de travail à fournir sur cet aspect-là. Mais la véritable source de succès se trouve plus dans l’enseignement des fondamentaux, c’est-à-dire à l’école primaire.
Comment les meilleurs systèmes se démarquent-ils des autres ?
Ils ont pour caractéristiques communes d’accorder plus d’autonomies aux enseignants dans le choix des méthodes éducatives et dans la façon dont ils vont enseigner. Ces professeurs ont, dans tous les pays qui réussissent, un mentor qui les suit pendant plusieurs années, et non pas un inspecteur d’académie hors sol.
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En contrepartie, les établissements scolaires sont beaucoup plus autonomes ! Les écoles ont la liberté d’embaucher et de licencier les professeurs. On pourrait crier à la précarité, mais ce n’est pas le cas. Les enseignants sont beaucoup mieux payés parce que ce métier redevient très attractif et il est beaucoup plus valorisé socialement. En Finlande ou en Estonie, ce sont les meilleurs étudiants des masters en recherche qui choisissent d’enseigner dans le primaire et le secondaire. En France, c’est loin d’être le cas.
Faut-il mettre les écoles en concurrence ?
Certains pays, comme l’Estonie, pays le plus performant d’Europe dans le Pisa 2022, ont mis en place un système de « chèque éducation ». Les parents choisissent de le dépenser dans l’établissement de leur choix. Les établissements eux-mêmes font tout pour attirer ces chèques et en conséquence recruter les enseignants qui sont les plus adaptés aux enfants auxquels ils font face.
Que pensez-vous des récentes annonces de Gabriel Attal ? Le ministre de l’Éducation nationale veut une refonte des programmes sur les fondamentaux et brise le tabou du redoublement.
Elles vont dans le bon sens ! Elles s’inscrivent dans la continuité des réformes Blanquer, en particulier sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques. C’est essentiel et fondamental. Quant au redoublement, qu’il redevienne la décision du professeur et non plus des parents est une bonne chose. Je suis, dans la plupart des situations, plutôt défavorable au redoublement : un trop grand nombre de variables conditionnent son succès. En revanche, cette mesure redonnera de l’autorité aux enseignants, qui en ont fort besoin.
Et s’agissant de la fin du correctif académique qui élevait le niveau des notes au bac ?
Avoir toute une génération de bacheliers ou de diplômés du supérieur est inutile. Quand tout le monde a le même diplôme, il n’a plus de valeur et donc cela crée une sorte d’inflation des diplômes, très pénalisante à l’entrée sur le marché du travail.
Que feriez-vous de plus que Gabriel Attal si vous étiez ministre de l’Éducation nationale ?
Je mettrais encore plus le paquet sur les fondamentaux. La réussite scolaire est déterminée à la maternelle et au primaire. On observe que peu importe ensuite où se trouvent les enfants, s’ils maîtrisent parfaitement les fondamentaux, ils réussiront au collège et au lycée. En plus des programmes, je ferais en sorte de diriger les meilleurs enseignants dans les classes de maternelle et de primaire. Cela suppose de mieux les rémunérer et d’accorder une autonomie quasi totale aux établissements scolaires dans la sélection des professeurs, sur le modèle de l’entreprise. J’ai conscience que cette proposition est inaudible au sein des syndicats, mais il faut en passer par là pour relever notre système éducatif.