Retraites: la capitalisation, un moyen de bonifier les pensions sous-utilisé en France
Le 5 décembre, nous avons lancé avec Le Figaro une nouvelle étude sur les retraites. L’article de Marie-Cécile Renault montre comment le sous développement de l’épargne-retraite en France fait perdre 1720 euros par an aux retraités. Il était complété par un article de Thomas Engrand revenant sur la nomination de Gilbert Cette à la tête du Conseil d’orientation des retraites (COR).
Alors que l’année 2023 restera marquée par l’adoption laborieuse de la réforme des retraites, qui a vu une partie de l’opinion s’arc-bouter sur le recul de l’âge de départ à 64 ans, pourquoi tant de Français aspirent-ils donc à partir en retraite? C’est l’une des questions que se sont posées économistes et experts réunis lundi au colloque annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR) consacré cette année au thème «bien-être et retraite». L’occasion de plonger directement dans le sujet pour Gilbert Cette, nouveau président du COR, qui succède à Pierre-Louis Bras, limogé en octobre, le gouvernement lui reprochant de ne pas avoir pris de positions assez fermes en faveur de la réforme.
«Manque à gagner»
Car ce n’est pas le tout de partir à la retraite, encore faut-il pouvoir bien en vivre. Or, la pension moyenne s’élève en France à 1 531 euros brut mensuels, soit 1 420 euros net, selon les derniers chiffres de la Drees. Si le niveau de vie des retraités est aujourd’hui légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population (de l’ordre de 1,5 %), celui-ci devrait progressivement diminuer par rapport à l’ensemble de la population pour s’établir entre 90 % et 95 % en 2040 et entre 75 % et 87 % en 2070, selon les projections du COR. Il reviendrait ainsi progressivement à son niveau des années 1980. La réforme des retraites de 2023 n’y changera rien, car elle consacre le régime par répartition – où les actifs cotisent pour les retraités -, et n’a pas introduit de changement structurel dans le système, se contentant de modifier les paramètres d’âge et de durée de cotisation (d’où son nom de réforme paramétrique).
«Les Français ne se rendent pas compte qu’ils vont avoir des pensions faibles, il y a une sorte de non-dit. Ils auront un taux de remplacement très dégradé à horizon 2070 car le système par répartition ne peut financer des retraites attrayantes quand la démographie n’est pas au rendez-vous», affirme Nicolas Marques, directeur de l’Institut économique Molinari (IEM), qui défend depuis plusieurs années l’introduction d’une dose de capitalisation collective dans le système français. Si la France avait mis en place une part de capitalisation comme dans les autres pays de l’OCDE, chaque retraité toucherait en moyenne 1720 euros de plus par an, grâce aux dividendes et plus-values générés par ses cotisations, calcule l’IEM dans une nouvelle étude dont Le Figaro a eu la primeur. «Pour un retraité moyen, ce manque à gagner équivaut à 9 % de la pension, affirme Nicolas Marques. L’épargne-retraite a rapporté en moyenne 4,3 % par an de plus que l’inflation, grâce aux dividendes et plus-values sur la période 2012-2021. Ce rendement a permis d’autofinancer une partie des retraites sans faire appel aux prélèvements obligatoires, ce qui a amélioré la compétitivité et le pouvoir d’achat des pays ayant une dose significative d’épargne-retraite», souligne-t-il.
L’IEM n’est pas seul à plaider en ce sens. À plusieurs reprises, la CPME, mais aussi le réseau d’entreprises Croissance Plus, se sont ouvertement dits favorables à l’introduction d’une part de capitalisation collective dans les retraites. Car les sommes ainsi placées sont bénéfiques à l’économie et peuvent venir financer l’investissement des entreprises. Sur le plan politique, c’est aussi un combat de David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des maires de France (AMF), qui voit dans la capitalisation «la meilleure solution pour garantir aux retraités un pouvoir d’achat supérieur à ce que permet le système par répartition, assainir les comptes publics et renforcer l’investissement dans les entreprises».
10 % du PIB français
Sur la période 2012-2021, les pays de l’OCDE avaient placé en moyenne 84 % du PIB en épargne-retraite. L’épargne mise de côté pour la retraite était supérieure à 100 % du PIB dans une série de pays anglo-saxons (Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande) mais aussi européens (Danemark, Islande, Pays-Bas, Suisse…), indique l’étude Molinari. En comparaison, l’épargne-retraite représentait seulement 10 % du PIB en France et 29 % du PIB de l’UE sur la période 2012-2021. «Le manque d’épargne-retraite représentait 74 % du PIB en France et 55 % du PIB en Europe, par rapport à la moyenne OCDE», note Nicolas Marques.
Alors que le gouvernement sort à peine de l’éprouvante réforme des retraites, le moment est-il venu d’ouvrir le sujet de la capitalisation? «Après la réforme avortée de 2019 et celle de 2023, très coûteuses politiquement, on peut penser que le calme revient et qu’il est grand temps de rattraper le retard français en généralisant la capitalisation collective», défend Nicolas Marques.
D’autant que les rares systèmes de capitalisation collective mis en place en France se sont révélés un succès. L’État a ainsi mis en place une dose de capitalisation pour ses fonctionnaires avec l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (Erafp), qui a placé 38 milliards d’euros (à fin 2022) pour améliorer la retraite de ses fonctionnaires. Géré paritairement par les syndicats de la fonction publique, il a dégagé un rendement de 3,7 % par an depuis sa création. De même, la Banque de France fait fructifier 13 milliards d’euros (à fin 2022) au profit de ses personnels et retraités, ce qui lui permet d’autofinancer une part significative des pensions sans faire appel aux contribuables et de restituer périodiquement des excédents significatifs à l’État (1,8 milliard d’euros en 2021 et 2022). Quant à la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (Cavp), elle dispose de 6 milliards d’euros (à fin 2022) en capitalisation, ce qui lui permet de distribuer des retraites attrayantes en dépit de la pyramide des âges très défavorable de cette profession réglementée.