Agriculture, les raisons fiscales de la colère
Au-delà des agriculteurs, c’est tout le secteur productif en France qui est concerné par une taxation hors norme sous la forme d’impôts sur la production et les bénéfices. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Il est emblématique qu’en France la colère des agriculteurs ait porté avec virulence sur les lois Egalim. Ces textes complexes visent, en effet, un nouveau partage de la valeur entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs.
Mais ce thème du « partage » plus égalitaire est comme souvent un cache-misère d’une création de valeur insuffisante. Si les agriculteurs souffrent, ce n’est malheureusement pas en prenant aux industriels ou aux distributeurs que le problème sera réglé.
Tous les acteurs économiques pâtissent d’impôts et réglementations excessives dans un monde ouvert à la concurrence.
Une situation pire que leurs voisins
Il est clair que les agriculteurs ont bien des raisons d’être mécontents, étant donné l’étendue des réglementations, interdits et contrôles qu’ils subissent, notamment au nom de mesures environnementales parfois mal conçues. D’ailleurs, la contestation agricole à ce sujet est généralisée à presque la totalité de l’UE. Mais certains pensent qu’en tant que bénéficiaires des subventions de la politique agricole commune (PAC), ils sont largement compensés de leurs obligations.
Les choses ne sont pas si simples et sur ce point, la situation des agriculteurs français est pire que celle de la plupart de leurs voisins concurrents.
C’est ce que montrent les chiffres d’Eurostat, qui met à disposition pour tous les pays de l’UE le solde de ce que chaque pays reçoit en termes de subventions de production diminuées des impôts de production supportés par les agriculteurs. La France qui représente 18 % de la production agricole reçoit 15 % des subventions nettes d’impôts alors que l’Allemagne qui réalise 12 % de la production reçoit 14 % des subventions nettes.
Taxation hors norme
L’Allemagne est certainement experte dans l’optimisation des subventions européennes, mais bien plus important, la France est championne dans la taxation de ses producteurs. Pour chaque euro de subvention, l’agriculteur français paie 20 centimes d’impôts sur la production, ce qui réduit ses aides par rapport aux autres acteurs européens.
Or, cette situation ne concerne pas seulement les agriculteurs. Tout le secteur productif en France est concerné par une taxation hors norme sous la forme d’impôts sur la production et les bénéfices s’élevant à 7,4 % de la valeur ajoutée contre 5,4 % au sein de l’UE et 3,7 % en Allemagne.
Par conséquent, envisager de soulager la colère des agriculteurs en dégradant la situation des transformateurs ou distributeurs est un jeu à somme nulle qui ne fera que répartir différemment la colère des acteurs économiques.
Championne européenne de la fiscalité
Nos autorités ont commencé à résorber cette surfiscalité qui joue contre la production, mais elles sont trop timorées. En 2022 la France est restée la championne européenne de la fiscalité de production avec 39 milliards prélevés sur les entreprises, contre au total 40 milliards d’impôts de productions nets de subventions dans l’UE.
La TVA a été inventée par un Français, Maurice Lauré, en 1954 pour éviter les effets de distorsion de la fiscalité de production. Soixante-dix ans après, la France ne parvient toujours pas à se débarrasser de cette fiscalité archaïque alors que cela ne déstabiliserait pas les finances publiques, la disparition des impôts de production étant compensée par la hausse du rendement d’autres prélèvements obligatoires.
En attendant, cela déstabilise profondément tous les acteurs économiques – dont les agriculteurs – qui ont raison de se désespérer de l’immobilisme de nos politiques.