Au-delà de la «grande démission»
En 2023, les indemnités journalières maladie sont en augmentation de 34 % par rapport à 2019, en grande partie du fait de Covid.
A rebours des discours présentant la « grande démission » comme le seul facteur expliquant cette tendance inquiétante, il est urgent de mieux cerner les contours de ce nouveau risque pour nos économies. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Nos économies ont besoin de personnes en bonne santé pour fonctionner, d’autant plus que le financement de la protection sociale en France repose sur les épaules de la population active dans un pays qui n’a pas eu la sagesse de doter sa protection sociale de réserves ou provisions. L’effet ciseau du vieillissement est un défi aigu qui met à mal les finances publiques. A cela s’ajoute l’incapacité à penser les problématiques de santé en lien avec l’économie. Le manque de chiffrages d’impact suite à la récente pandémie et les ballons d’essai désordonnés visant à dégager des économies sur les affections de longue durée (ALD) en fournissent une illustration criante.
Quatre ans après le début de la pandémie, la vie semble avoir repris son cours normal. Ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde. Dès avril 2020, des individus commencent à décrire les symptômes longs dont ils souffrent suite à leur infection plusieurs semaines auparavant. Depuis, le phénomène s’est amplifié et a pris le nom de Covid long. Il est aujourd’hui reconnu d’un grand nombre d’autorité de santé. En France, la Haute autorité en santé (HAS) le définit comme des symptômes qui se manifestent au-delà de 4 semaines après la date présumée d’infection. Plusieurs rapports ont tenté d’évaluer le coût économique à long terme de la pandémie. L’exercice est difficile car le Covid long n’a pas à l’heure actuelle de définition consensuelle. Il couvre plus de 200 symptômes, avec des formes diverses selon les individus.
Pour autant, à l’étranger, certains tentent l’exercice. Récemment The Economist a publié une estimation du manque-à-gagner lié à Covid avec un focus sur la France. Cette estimation est construite en partant du taux de prévalence officiel, 4 % en 2022 selon Santé publique France soit environ 2,1 millions de personnes. Le nombre d’heures perdues (sorties du marché du travail, réductions du temps de travail et arrêts maladie) est évalué à 295 millions. Le manque-à-gagner lié au Covid long en France à 21 milliards d’euros par an, soit 0,6 % du PIB. Ce n’est pas négligeable, d’autant plus que cela ne comprend pas les coûts liés aux soins ou à l’indemnisation des personnes ne pouvant plus travailler.
Vous ne trouverez pas de chiffrage équivalent en France. Chez nous, la priorité des autorités est à la recherche d’économies rapides comme l’illustre la présentation récente des ALD comme un gisement d’économies. D’où aussi les attaques contre la téléconsultation, accusée à tort de causer une inflation d’arrêts maladie, alors qu‘elle ne représente que 0,6 % de la facture totale d’indemnités journalières.
Il est aussi de bon ton de fustiger la « Grande Démission », en oubliant les réalités. D’une part, le taux d’emploi en France est au plus haut. D’autre part, l’analyse des données de l’Assurance maladie montre qu’entre 2021 et 2022, le coût des indemnités journalières liées à Covid-19 expliquait au moins 45 % de la hausse des arrêts maladie par rapport à 2019. En 2023, les indemnités journalières maladie sont en augmentation de 34% par rapport 2019, en grande partie attribuable à Covid. Ce phénomène est bien réel. Il est urgent de mieux cerner les contours de ce nouveau risque pour nos économies. Il est aussi crucial de trouver des moyens de prévention et des thérapies efficaces, en finançant mieux l’innovation, à l’image de ce que font les Etats-Unis, qui ont toujours une longueur d’avance.