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Réforme des retraites: « Calculé correctement, le déficit des retraites atteint 53 milliards d’euros »

Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, par Muriel Breiman, rédactrice en chef adjointe Economie-Entreprises de L’Express.

« Nous reviendrons sur cette réforme injuste des retraites », a martelé sur BFMTV Thomas Ménagé, porte-parole du Rassemblement national, à l’issue des élections européennes du 9 juin. Une réforme passée au forceps en 2023, au coût politique élevé, mais loin d’avoir résolu le sujet du financement de notre système de retraites. Le rapport du Conseil d’orientation des retraites a acté d’un excédent en 2023 mais anticipe le retour au déficit dès l’an prochain. « Cette dégradation se poursuivrait sur l’ensemble de la période de projection pour atteindre – 0,4 % du PIB en 2030 et – 0,8 % du PIB en 2070 », ajoute-t-il. Des chiffres plus pessimistes que les prévisions de l’an passé.

Mais pour Nicolas Marques, le directeur de l’Institut Molinari, la situation est bien plus préoccupante. L’arrivée à la présidence de l’économiste Gilbert Cette à la place de Pierre-Louis Bras n’y a rien changé, les chiffres du COR continuent d’ignorer un paramètre fondamental et le déficit atteindrait en réalité 53 milliards d’euros. Explications.

L’Express : Le COR publie officiellement son rapport le 13 juin avec quelques ajustements par rapport à la précédente édition, en réponse aux critiques. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Marques : Ces changements sont marginaux. Certes, les projections sont plus réalistes, le rapport est plus ramassé, plus clair, et c’est très bien. Mais le vrai sujet important n’a pas changé, à savoir la photo à l’instant T du déficit, qui fait que les projections du COR n’ont pas de sens. Le calcul du solde du régime des retraites reste baroque, partant du principe que tout ce qui relève de l’Etat est à l’équilibre et que s’il y a un déficit, il relève du secteur privé. Au titre de 2023, le COR avance cette fois un excédent de 3,8 milliards d’euros pour 2023, grâce à l’Agirc-Arrco. En réalité, le déficit lié aux retraites, quand on le calcule correctement, s’est élevé à 53 milliards d’euros l’an dernier, car les subventions d’équilibre versées aux retraites du secteur public représentaient 56 milliards l’an passé.

A quoi correspond ce chiffre ?

Il s’agit du montant des surcotisations versées par l’Etat pour équilibrer le régime de retraite des fonctionnaires – agents de l’Etat, fonction publique territoriale et hospitalière, régimes spéciaux de la SNCF ou de la RATP, fonctionnaires détachés de La Poste ou d’Orange… Ne pas les prendre en compte fait que toute la photo du COR est erronée.

Depuis 2002, ses rapports affirment simplement que le secteur public est équilibré par l’Etat. Cela pourrait être correct si l’on était en Suisse ou au Danemark, où les comptes publics ne sont pas déficitaires. En France, cela n’a pas de sens – les derniers comptes équilibrés remontent à 1980. L’Etat français est structurellement en déficit depuis la fin du baby-boom, car le pays n’a pas mis assez de côté pour le financement des retraites et qu’il n’y a plus assez d’actifs. A commencer par les fonctionnaires, avec un ratio de 0,9 cotisant par retraité. La première dépense de l’Education nationale, ce sont les retraites : 30 % du budget. Dans la police et la justice, les ordres de grandeur sont les mêmes, autour de 28 %. Le coût du passé est énorme.

Il était néanmoins bienvenu de revoir à la baisse les hypothèses de productivité qui sous-tendent les projections du COR ?

Entre ce que pensait faire Gilbert Cette et ce qu’il a négocié avec les syndicats, il y a un décalage. Mais c’est consubstantiel au COR : une fois qu’une mauvaise habitude est prise, il est très difficile de la changer. De toute façon, le fait que les hypothèses de projections aient évolué à la marge reste anecdotique puisque la base de départ est fausse. Le vrai drame est qu’il y a des solutions. Mais occulter le problème ne permet pas de passer à l’action.

Ce que je dénonce sur l’ampleur réelle du déficit, tous les grands argentiers en France en ont conscience. Ils espéraient surtout se défaire du sujet, en basculant sur le régime universel. Cette opacité arrange aussi les syndicats de la fonction publique qui veulent sauver leurs particularismes. Pour moi, c’est une erreur : les fonctionnaires seraient bien mieux protégés si les retraites étaient provisionnées.

Que préconisez-vous ?

Il faut que l’Etat s’endette progressivement sur trente ans, pour faire monter en puissance un fonds et pouvoir ensuite autofinancer les retraites des fonctionnaires avec les intérêts et dividendes issus de ce fonds. Le Sénat ou la Banque de France le font déjà avec succès. La Banque de France a même rendu 2,6 milliards d’euros à l’Etat depuis 2020. Si elles étaient provisionnées par capitalisation, les retraites coûteraient bien moins cher aux contribuables.

Le RN, lui, envisage surtout de revenir sur la réforme des retraites de 2023, même si Jordan Bardella a récemment renvoyé à plus tard une éventuelle abrogation de ce texte.

Penser qu’on pourrait avancer l’âge de la retraite dans un pays qui a tout misé sur la répartition est une illusion. Le sous-développement de l’épargne-retraite génère un manque à gagner de 80 milliards d’euros par an, correspondant aux plus-values et dividendes que nous encaisserions si nous avions été aussi prévoyants que les autres pays développés. Dans ce contexte, le seul levier est de faire travailler les Français plus longtemps.

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