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Le mythe d’une agriculture française assistée et grande gagnante de la PAC

Cette étude inédite compare les aides à l’agriculture et la fiscalité de production en France et dans les différents pays de l’Union européenne (UE). Elle montre que, contrairement aux idées reçues, les agriculteurs français ne sont pas plus aidés que leurs homologues européens, notamment parce qu’ils supportent une fiscalité de production hors normes.

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Introduction

Pour beaucoup, l’agriculture française est la grande gagnante de la Politique agricole commune (PAC)(1) au sein d’une Union européenne qui aide particulièrement les agriculteurs. Au début des années 2000, la moitié des Français pensaient que les agriculteurs étaient des « assistés » et ce qualificatif était encore récemment retenu par 29 % de la population sondée par l’Ifop en 2023 (Figure 1).

Les chiffres régulièrement publiés sur ce sujet, parce qu’ils ne souvent sont pas interprétés en relation avec le poids de l’agriculture et du revenu agricole dans les différents pays, alimentent cette perception. Le budget de la politique agricole commune est de 387 milliards d’euros courants pour la période 2021-2027. Il représente 31 % du budget traditionnel de l’UE et 24 % des dépenses prévues sur cette période, si l’on tient compte du programme exceptionnel Next Generation(2). Les ventilations pays par pays montrent que les agriculteurs français sont les principaux bénéficiaires de la PAC avec 9,5 milliards d’euros en 2022, soit 17 % des sommes dépensées en 2022 au titre de la PAC (56,4 milliards d’euros). Si l’on s’en tient à ce chiffre, ils perçoivent plus que leurs homologues espagnols (6,8 milliards), allemands (6,4 milliards), italiens (5,6 milliards) ou polonais (4,8 milliards)(3). En lecture directe, la France est donc la première bénéficiaire de la PAC, un des principaux postes de dépense de l’UE, alors qu’elle finance 18,7 % du budget de l’UE, loin derrière l’Allemagne première contributrice à hauteur de 23,7 % du budget. Pourtant, cela ne veut pas dire que l’agriculteur français est, en proportion de ses revenus, plus aidé que ses voisins.

La vision d’une France première bénéficiaire d’une PAC très généreuse a été mise en avant par les décideurs publics depuis des décennies. A Bruxelles, beaucoup ont milité pour une réduction du poids de la politique agricole dans les dépenses de l’UE. En baissant les prix garantis, les réformes de 1992 et 1990 ont permis de réduire le poids budgétaire de la PAC en deçà de 50 % du budget de l’UE(4). Ce mouvement s’est opéré sous la pression politique du Royaume-Uni, sceptique à l’égard des politiques européenne et de ceux souhaitant que l’UE ait les moyens de s’élargir sur le plan géographique et puisse agir dans d’autres domaines de compétences(5). La PAC, qui représentait 74 % des dépenses en 1980, n’en pèse plus que 24 % à ce stade (Figure 2).

L’importance du soutien aux agriculteurs a servi d’argument pour une meilleure priorisation des enjeux environnementaux dans le cadre du plan pacte vert pour l’Europe6. Si les agriculteurs sont plus aidés que les autres, pourquoi ne pas exiger d’eux des standards plus qualitatifs d’un point de vue environnemental en « verdissant la PAC » ? Des approches que l’on retrouve dans le discours porté par des ONG7, dans les réformes successives depuis 20138 et dans les recommandations de la Cour des comptes, qui souligne périodiquement l’importance des aides à l’agriculture et invite à leur meilleure évaluation voire révision9.

Mais qu’en est-il réellement ? L’agriculture européenne reste-t-elle privilégiée par rapport au reste du monde, et, au sein de l’Europe, la France est-elle mieux lotie ? Cette note, construite à partir de données internationales (OCDE), européennes (Eurostat) et nationales (Insee, comptes de l’agriculture) vise à répondre à ces questions.

Elle montre que le soutien à l’agriculture, significatif en Europe, est inférieur à ce qui se fait dans certains pays limitrophes, voire aux Etats-Unis lorsqu’on intègre la politique de soutien aux consommateurs.

Elle montre aussi que, contrairement aux idées reçues, les agriculteurs français ne sont pas plus soutenus que leurs homologues européens. Ils font même face à une fiscalité de production plus significative qu’ailleurs, qui dégrade leur positionnement concurrentiel à rebours de l’idée d’un secteur plus aidé qu’ailleurs. Cette réalité doit être prise en compte lorsqu’on évalue les politiques publiques en la matière et si l’on souhaite que les agriculteurs continuent de produire localement et soient encore plus impliqués dans la préservation de l’environnement.

Note

  1. Voir par exemple Ledroit, V. (2024, 26 février). Budget de l’UE : à qui profite la politique agricole commune (PAC) ? Touteleurope.eu. A noter que les chiffres cités dans cet article dépassent le périmètre de la PAC puisqu’ils intègrent les politiques de soutien à la pèche dans le cadre de la Politique commune de la pêche (PCP) et les politiques en faveur de l’environnement et du climat.
  2. Parlement européen. (2023, 30 novembre). Financement de la PAC: faits et chiffres. Fiches thématiques sur l’Union européenne.
  3. Calculs Institut économique Molinari sur la PAC stricto sensu d’après Commission européenne. (2023, 31 juillet). EU spending and revenue – Data 2000-2022 [Excel].
  4. Gaillard, M. (2018, 11 novembre). Réformes de la politique agricole commune (PAC) depuis 1992. Vie publique.
  5. Chalmin, P. (2010, 29 mars). PAC : le bon combat ? Le Figaro.
etude-agriculture-2024

Nicolas Marques

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