Arrêts maladie: et si l’Assurance maladie passait à côté du problème oubliant covid ?
Se focaliser sur la fraude dans les arrêts maladie en occultant la réalité « maladie infectieuse » passe à côté d’une réalité certes douloureuse mais incontournable, du point de vue de la santé comme de l’économie. Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié dans Atlantico.
Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), communique sur l’importance de la lutte contre les abus pour freiner la hausse des arrêts maladie. Est-ce que les données montrent que l’envol des indemnités journalières d’assurance maladie (+34% en 2023 vs 2019 hors accident du travail) est une conséquence de la fraude?
La hausse des dépenses de santé est réelle. Cela fait des décennies que les pouvoirs publics essaient de les freiner avec plus ou moins de succès. Le vieillissement de la population et les attentes importantes des citoyens comme des soignants expliquent en grande partie ces hausses. A moins de percer le mystère du vieillissement en parfaite santé, il est évident que la consommation de soin va continuer à s’accroître. Par ailleurs, la revalorisation du prix des consultations pour la médecine en ville et nombre de demandes en ce sens vont pousser à la hausse les coûts.
A première vue, ces dépenses semblent contraintes et difficiles à contenir. L’une d’elles attire néanmoins l’attention de la sécurité sociale depuis plusieurs mois, les indemnités journalières ou arrêts maladie. La CNAM multiplie les appels à « réfléchir à un nouveau système d’indemnisation des arrêts de travail », à une meilleure implication des médecins et des entreprises et à une lutte accrue contre la fraude.
Il est évident que la fraude doit être combattue. Pour autant, laisser croire qu’il sera possible de contenir la hausse des arrêts maladies de cette manière est une illusion, car leur progression est intimement liée au chamboulement sanitaire intervenu depuis la pandémie de Covid.
Depuis 2020, le rythme de progression des dépenses d’arrêts maladie a doublé voire triplé par rapport à la période d’avant Covid. En euros courants, les arrêts maladie progressent de 8 % par an par rapport à 2019, soit deux fois plus vite qu’avant Covid (4 % par an en 2015-2019). Surtout depuis le début de la pandémie, les arrêts maladie progressent 3 points plus vite que le PIB, alors qu’ils progressaient seulement d’un point plus vite que la production sur la période 2015-2020. L’analyse des données de l’Assurance maladie montre qu’entre 2021 et 2022, le coût des indemnités journalières liées à Covid-19 expliquait au moins 45 % de la hausse des arrêts maladie par rapport à 2019. En 2023, les indemnités journalières maladie sont encore en augmentation de 34 % par rapport 2019. Cette hausse est en grande partie attribuable à Covid, même si l’Assurance maladie n’isole plus l’effet covid et se focalise sur la fraude.
La France est loin d’être une exception. En Allemagne, les arrêts maladie restent anormalement élevés en 2022 et 2023 ce qui aurait pénalisé la croissance de 0,8 point de pourcentage. Aux Etats-Unis, même constat, le taux de participation au marché du travail reste en deçà de ce qu’il était avant 2020, à 62,7 % au lieu de 63,3 %.
Car si la période aigue de la pandémie est derrière nous, le virus Sars-Cov-2 n’a pas pour autant disparu. Au gré de mutations rapides, les vagues se succèdent ininterrompues depuis 2020 et laissent un nombre important de personnes avec des symptômes longs, si bien que le phénomène est maintenant connu sous le terme de Covid long. Dans une publication récente, l’expert international sur le sujet, Ziyad Al-Aly, estime que 6 à7 % de la population mondiale (et 1 % des enfants) souffre de symptômes prolongés parfois très handicapants nécessitant des arrêts maladie prolongés. Cela représenterait environ 400 millions de personnes. L’épidémiologiste à l’université Washington de St. Louis a montré que le risque de Covid long augmente avec chaque infection d’où sans doute un fardeau qui s’alourdit au fil des années faute d’outils de santé publics adéquats.
Il est donc urgent d’accepter la réalité. Une part notable des arrêts correspondent à des maladies réelles liées à un virus en forte circulation, capable d’affaiblir les populations. L’enjeu est de prendre en charge correctement les personnes en souffrance et aussi de penser la prévention.
En quoi le fait d’occulter le rôle des maladies infectieuses (covid…) dans l’essor des arrêts maladie est un mauvais signal pour les patients et les parties prenantes?
La pandémie 2020 marque effectivement le retour des maladies infectieuses. Nombre d’experts – comme l’auteur et statisticien Nassim Taleb – prévoyaient ce retour du fait de l’extrême connexion entre les peuples et d’une urbanisation croissante. Les énormes bénéfices de la globalisation s’accompagnent de fragilités dont les pandémies font partie. Depuis 2020, nous avons un nouveau virus en circulation et celui-ci interagit avec les autres virus si bien que l’on voit le retour en force de toutes sortes de maladies comme le VRS ou la coqueluche.
Se focaliser sur la fraude dans les arrêts maladie en occultant la réalité « maladie infectieuse » passe à côté d’une réalité certes douloureuse mais incontournable, du point de vue de la santé comme de l’économie. Plus de malades rime avec plus de tensions sur les comptes sociaux et moins de création de richesse, d’où l’importance d’une politique de prévention . Au-delà des vaccins dont il existe de multiples versions et à propos desquels il est important de communiquer, il faudrait des techniques et outils capables de limiter les infections et donc les phénomènes de contagion à grande échelle.
Nous manquons cruellement d’innovation en la matière. Passée la phase initiale aigue de la pandémie, ce sujet – considéré comme moins prioritaire – ne mobilise plus dans une Europe à la traine de l’innovation. Comme l’indique un rapport récemment publié par la Commission européenne, coordonné par l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi, le ratio entre l’Europe et les Etats-Unis en matière de capital-risque est de 1 à 4. Plutôt que de laisser croire que la lutte contre les fraudes sera une solution à l’envolée des dépenses d’arrêt maladie, il faut prendre le sujet à bras-le-corps, mesurer le problème et faire en sorte que l’investissement dans des outils de prévention innovants soit une réalité.
D’une manière générale, peut-on dire que la prévention et l’innovation, sont des points faibles de l’assurance maladie française?
L’assurance maladie n’a d’assurance que le nom. Elle ne se comporte pas comme un assureur mais comme une simple caisse qui rembourse des frais engagés par d’autres. C’est une organisation comptable qui fait peu de calcul économique.
Elle a du mal à penser la prévention et appréhende fréquemment les changements comme susceptibles de générer des coûts supplémentaires, sans mesurer précisément les coûts évités. C’est vrai pour Covid et nombre de sujets. Trop souvent le service rendu de nouveaux médicaments n’est pas reconnu à sa juste valeur, car le coût facial est jugé trop onéreux et les économies sous évaluées. C’est aussi vrai pour les process, comme l’illustre le cas emblématique de la téléconsultation. Elle a été accusée de provoquer une inflation des arrêts maladie quand elle ne représente que 0,6 % de la facture totale d’indemnités journalières et qu’il y a de bonnes raisons de penser qu’elle fait faire des économies. Sur la base de nos travaux, le recours aux consultations à distance pourrait réduire la facture transport, optimiser le recours aux urgences et réduire les dépenses relatives aux consultations de généralistes et spécialistes, pour un montant d’au moins 1 milliard d’euros par an en France.
On aimerait que l’Assurance Maladie joue un rôle constructif et s’implique plus dans la prévention, un de ses points faibles structurels par rapport aux mutualistes et assureurs, qu’elle accueille les innovations avec intérêt, au lieu de freiner leur développement.