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Double peine, en France fiscalité record rime avec dette record

Double peine. Déficit et impôts record : mais que fait donc la France de son argent que les autres pays ne font pas ? La question se fait d’autant plus pressante que la France emprunte désormais avec des taux d’intérêt plus élevés que la Grèce ou l’Espagne. Les réponses de Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, aux questions d’Atlantico.fr.

– À 3 228 milliards d’euros, l’endettement de la France atteint de nouveaux sommets. Il représente 112 % du PIB, au lieu des 60 % maximum prévus par les règles européennes. Mais la France est aussi championne du monde des impôts, avec un taux de prélèvements obligatoires représentant 46,1 % du PIB, selon l’édition 2023 des « Statistiques des recettes publiques » de l’OCDE. Que fait donc la France de son argent que les autres pays ne font pas ? Quelle part de d’absolu nécessaire, quelle part de superflu ? 

La France est dans le trio de tête des pays les plus endettés avec 112 % du PIB de dette publique. Seules la Grèce et l’Italie font pire. Et c’est sans compter la dette hors bilan, liée aux promesses des régimes de retraite qui représentent 400 % du PIB selon Eurostat. Au global, les promesses faites aux marchés financiers et aux retraités représentent près de 5 années de création de richesse.

Dans le même temps, la France est la championne d’Europe des prélèvements obligatoires. Ils représentent 46 % du PIB, contre en moyenne 40 % du PIB dans l’UE. Nous avons plus de déficits, alors que nous taxons plus, à rebours des discours caricaturaux prétendant que la France aurait basculé dans « l’économie de l’offre » et que cela expliquerait les déficits.

Ce paradoxe – surfiscalité et endettement – est lié à l’absence de diversification du mode de financement des retraites. Dans toute une série de pays, les retraites sont financées de façon duale par la répartition et la capitalisation. Une partie des cotisations retraite est placée et le rendement de l’épargne rapporte des dividendes et plus-values qui bonifient les retraites. En France, nous avons fait le choix du tout répartition. Par conséquent, à prestation égale, il faut plus de cotisations sociales et de prélèvements obligatoires pour financer les retraites. Cela explique comment nous sommes champions des prélèvements. Si la France capitalisait comme la moyenne des pays développés, elle disposerait d’une manne de 80 milliards d’euros par an (3,2 % du PIB chaque année) issue de dividendes et plus-values pour financer les retraites. Elle aurait besoin de 80 milliards de prélèvements en moins.

Ce mauvais financement des retraites est la principale cause de la dérive des finances publiques françaises. Les retraites représentent un quart des dépenses publiques et surtout 45 % de la hausse des dépenses publiques depuis la fin du baby-boom. Ce n’est pas un hasard si depuis le milieu des années 1970, la France n’est plus capable d’équilibrer ses comptes publics. C’est le fruit d’un vieillissement mal géré.

Facteur aggravant, ce recours excessif à la fiscalité pour financer les retraites nuit à l’activité économique, ce qui crée des dérèglements (baisse de compétitivité, tensions sur le pouvoir d’achat, chômage…). Pour pallier ces effets, les pouvoirs publics successifs ont multiplié des mécanismes de réductions de charges. Destinés à compenser les surcoûts liés à la mauvaise organisation financière de notre protection sociale, ils sont indispensables en l’Etat mais creusent les déficits.

– Quels sont les principaux postes de dépenses de l’État ? Comment se positionne la France par rapport aux autres pays européens ? (État, Collectivités territoriales)

Lorsqu’on ventile les dépenses par domaine, c’est la protection sociale qui mobilise le plus de moyens. La France est n°1 sur 27 en dépenses des administrations sociales. Elle y consacre 25 % du PIB, contre en moyenne 17 % du PIB dans l’UE, soit un écart de 8 points de PIB.

En revanche, les dépenses des collectivités locales sont plus contenues, elles représentent 11 % du PIB, ce qui classe la France en 9ème position sur 27 et les dépenses de l’Etat représentent 21 % du PIB, contre 17 % dans l’UE, ce qui nous place en 14ème position sur 27.

Ces chiffres, corrigés des transferts entre administrations, méritent commentaire. Le vrai reproche qu’on devrait faire à l’Etat n’est pas de dépenser trop pour les fonctions qui lui incombent. Toute une série d’Etats dépensent plus en Europe. La vraie carence résulte dans l’incapacité de notre Etat à penser le temps long et à faire en sorte que les administrations et entreprises puissent être performantes.

L’Etat n’a notamment rien fait pour préparer la France au vieillissement. En tant qu’employeur, il n’a pas provisionné les retraites des fonctionnaires, ce qui représente un manque-à-gagner de 60 milliards d’euros par an. En tant que régulateur social, il n’a pas incité les régimes sociaux à faire monter en puissance des capitalisations collectives pour épauler la répartition. Si la France était dans la moyenne des pays développés, elle disposerait d’une manne de dividendes et plus-values représentant 3 % du PIB chaque année pour financer les retraites. Les tensions autour du seuil de départ à la retraite, mais aussi de la compétitivité et le pouvoir d’achat seraient bien moins importantes.

De même, l’Etat central a été incapable d’organiser la décentralisation financière. Il n’a jamais accepté de couper le cordon financier avec les collectivités, en leur donnant la maîtrise de leur financement et en donnant aux électeurs les moyens de sanctionner d’éventuels dérapages. Enfin, notre état produit une multitude de réglementations plus ou moins contreproductives, ce qui renchérit le coût de production des prestations marchandes ou non marchandes, limite la création de biens et services et se retourne – au final – contre les ménages.

– « Oui, la situation de nos finances publiques est grave (…) en 2024, le déficit public risque de dépasser les 6% du PIB » contre 5,1% initialement attendus, a annoncé mercredi 25 septembre le nouveau ministre du Budget Laurent Saint-Martin. Comment expliquer que l’administration française pèse plus lourd qu’ailleurs, avec parfois de moins bons résultats ? (hôpitaux, écoles)

La situation est effectivement inquiétante avec une dette visible et invisible qui déstructure nos finances publiques. En 2024, la charge des intérêts de la dette de l’Etat devrait représenter 1,7 % du PIB en raison de la remontée des taux d’intérêts. En parallèle, le déficit des retraites publiques devrait tourner autour de 2 % du PIB selon nos travaux. Au total, les dépenses contraintes liées à la mauvaise gestion passée des finances publiques représentent deux tiers du déficit public. Le déficit alimente le déficit, d’où la crainte d’emballement.

Cela explique aussi pourquoi les Français constatent une dégradation des services publics. Dans toute une série de ministères, le coût du passé absorbe toutes les marges de manœuvre financières. A titre d’illustration, les retraites sont le premier poste de dépense de l’Education nationale. Elles consomment 30 % de son budget, soit bien plus que ce qui est concrètement investi dans l’enseignement primaire ou le secondaire. Pour restaurer la qualité des services publics, il faudrait provisionner les retraites des fonctionnaires, comme le font le Sénat ou la Banque de France. Cela permettrait de financer une partie des pensions sans faire appel au contribuable, et de faire en sorte que son impôt soit affecté en priorité au financement des services publics. Si l’Etat avait en partie provisionné ses retraites sur le modèle du Sénat, il économiserait 30 milliards d’euros par an. Si l’Etat avait été encore plus prévoyant et provisionné l’intégralité des retraites de ses personnels, comme la Banque de France, il économiserait près de 60 milliards d’euros par an.

– La France emprunte désormais avec des taux d’intérêt plus élevés que la Grèce ou l’Espagne. Comment expliquer cette situation ?

C’est la marque d’une perte de confiance vis-à-vis d’une France incapable d’adopter une stratégie crédible permettant de restaurer ses comptes publics.

Depuis la fin du baby-boom nos finances publiques ne cessent de se dégrader et – faute de réforme structurelle – la défiance s’installe. Nous n’avons jamais été capables de respecter les trajectoires de remise en ordre des finances publiques que nous nous sommes fixées. Avec la remontée des taux d’intérêt, construire une trajectoire de finances publique réaliste, permettant de respecter nos engagements, est un défi majeur. Pour réduire les déficits, certains préconisent d’augmenter la fiscalité, ce qui réduirait la croissance et complexifierait encore plus l’équation financière.

Pour s’extraire de cette nasse, il faudrait avoir le courage de s’attaquer au problème de fond : le financement anti économique des retraites. Il faut d’urgence financer la montée en puissance de capitalisations collectives dans le secteur privé pour épauler la répartition à la peine. Dans le secteur public, il faut commencer à provisionner les retraites des fonctionnaires. Sans ces réformes de fond, nos finances publiques resteront structurellement déséquilibrées.

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