En finir avec l’idée de «dépense fiscale»
La France s’est enfermée dans une analyse comptable et biaisée de ses niches fiscales. Il faut mieux mesurer leur incidence réelle afin de favoriser la croissance. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Le concept de « dépense fiscale » est un outil de politique publique. Il désigne « l’ensemble des avantages fiscaux et réductions d’impôt prévu par la loi (taux réduits, règles d’assiette plus favorables, exemptions, réductions d’impôt…). » Utilisé à tour de bras pour justifier des hausses de prélèvements, il devrait être supprimé en faveur de la notion beaucoup plus importante d’incidence fiscale qui permet de porter le regard sur la production de richesse plutôt que sur sa captation.
La « dépense fiscale » adopte le point de vue de l’Etat qui se prive de recettes quand il octroie des dérogations. C’est une perte pour lui alors que pour le contribuable, qu’il soit consommateur, employé ou actionnaire, c’est du revenu préservé. La notion, déclinée en « niche sociale » s’agissant des mesures de nature à réduire les recettes sociales, est utilisé lors de l’élaboration des budgets.
Son utilisation n’est pas seulement comptable. Elle est aussi normative dans la mesure où elle considère le système fiscal en vigueur comme une forme d’optimum et ses aménagements générateurs de déficits. Or, en France, tout laisse à penser que ce n’est pas le cas car les recettes fiscales n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières décennies sans jamais pouvoir couvrir des dépenses publiques qui augmentaient encore plus vite, créant des budgets de moins en moins équilibrés.
Ajoutons que la définition et la quantification des dérogations autrement baptisées « niches » sont biaisées. Les allégements de cotisation sur les compléments de salaires du privé sont, par exemple, considérés comme des dépenses sociales, mais pas les exonérations de cotisation sur les primes des fonctionnaires. Le coût est aussi largement surévalué, la fiscalité ayant un effet désincitatif et créant des vases communicants. Un contribuable réduisant son impôt sur le revenu grâce à une « niche » paiera plus de TVA s’il consomme plus. Or, le manque-à-gagner est comptabilisé et le surplus oublié.
Surtout, à trop se focaliser sur les dépenses fiscales, on passe à côté du grand défi pour la France, à savoir adapter sa fiscalité pour favoriser la croissance. Il faut, en effet, réaliser que nombre de dérogations sont nécessaires pour maintenir les activités en France. Les considérer comme des « dépenses » en occultant l’effet positif de ces aménagements sur les recettes relève d’un biais. En effet, lorsqu’une entreprise décide de produire en dehors de France, ce n’est pas comptabilisé comme une dépense fiscale, et pourtant les administrations perçoivent moins d’impôts sur les sociétés et de charges sociales.
Lorsqu’on parle fiscalité, ce n’est pas d’un plafonnement des niches ou d’une limitation de leur durée dont on a besoin – comme le propose régulièrement la Cour des comptes – mais d’une réflexion autour de l’incidence fiscale de chaque mesure. Il faut comprendre qui porte, en bout de ligne, la charge fiscale et l’impact sur la création de richesse, certaines fiscalités étant beaucoup plus nocives que d’autres.
Si l’incidence était mieux prise en compte, nous serions en mesure de mettre fin à des aberrations fiscales comme celle d’être les champions de la fiscalité ciblant les entreprises, avec des impôts de productions hors-norme poussant la création de richesse hors de France. Certaines notions sont des impasses, comme la dépense fiscale. Celle-ci n’apporte pas d’éclairage et, pire, cache l’essentiel.