Ces 5 vérités sur l’économie française dont devrait utilement se souvenir le nouveau ministre de l’Economie
Eric Lombard, le nouveau ministre de l’Economie du gouvernement Bayrou, devra garder à l’esprit plusieurs leçons sur les spécificités françaises lors de son mandat à Bercy. Les réponses de Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, aux questions d’Atlantico.
1/ La composition du gouvernement Bayrou a finalement été rendue publique, le 23 décembre dernier et c’est Eric Lombard qui a été nommé à Bercy. Quelles sont, selon vous, les principales vérités économiques qu’il lui faudra garder en tête pendant l’exercice de ses fonctions ? Que dire, par exemple, de la réelle répartition de la valeur ajoutée en France ?
Il lui faudra garder en tête que la France souffre d’un moteur de création de richesse atrophié. Trop d’impôts et trop de règles entravent la création de richesse et la poussent hors de France. Certains prétendent à longueur de journée que la France aurait déjà tout fait pour les entreprises, qu’elle aurait basculé dans la politique de l’offre – ce qui à les entendre expliquerait l’explosion des déficits – mais les chiffres montrent une réalité toute autre.
D’une part, le partage des richesses reste très favorable aux salariés, qui captent 57 % de la valeur ajoutée en France. Ce chiffre est significativement supérieur à la moyenne européenne (52 % en 2023) et stable sur 30 ans, ce qui contredit radicalement les visions caricaturales faisant état d’une déformation du partage de la valeur ajoutée.
D’autre part, les excédents d’exploitation restent faibles en dépit des discours récents sur le regain de compétitivité. Ils représentent 21 % de la valeur ajoutée en France contre 27 % en Europe) et ils sont en recul car ils représentaient 23 % de la valeur ajoutée il y a 30 ans.
Quant à la fiscalité de production – aides aux entreprises déduites – elle n’a pas bougé depuis 1994. Elle représente toujours 3 % de la valeur ajoutée, à rebours des discours caricaturaux qui prétendent que le gouvernement Macron aurait creusé les déficits avec une politique économique qui aurait été trop favorable aux entreprises.
2/ La question des inégalités travaille beaucoup la sphère et l’opinion publique ces derniers temps. Certains auteurs, comme Thomas Piketty, ont été prolifiques à ce sujet. Quelles sont les erreurs et les travers dans lesquels il ne faudrait pas tomber ?
L’idée que les inégalités seraient significatives et croissantes en France – largement répandue dans le grand public – n’est pas corroborée par les faits. Les inégalités de niveau de vie sont contenues et se réduisent. En 2021, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, l’écart de niveau de vie entre les 10 % des individus les plus pauvres et les 10 % les plus riches est de 1 à 3,4. Il est moins important que chez nombre de nos voisins et diminue dans le temps. Les mieux lotis avaient un niveau de vie 4,1 fois plus élevé que les 10 % les plus pauvres en 1975, soit un recul de 17 % de cet indicateur d’inégalités sur un demi-siècle.
Certes, les inégalités de patrimoine sont plus élevées, mais là encore, l’approche militante véhiculée par certains n’aide pas à comprendre les réalités. Selon l’INSEE, le patrimoine des ménages représente 7,2 années de PIB. Lorsqu’on regarde ce patrimoine, qui agrège biens immobiliers et patrimoine financier et professionnel, on constate que la moitié des ménages détiennent 92 % de la masse totale de patrimoine brut, avec un patrimoine supérieur à 177 200 euros.
Mais ces chiffres ne tiennent pas compte du patrimoine constitué par les retraites en répartition. Il représente 4,3 années de PIB et il est réparti de façon bien moins inégalitaire que le patrimoine traditionnel. Toutes les mesures d’inégalités de patrimoine excluant la sphère sociale donnent une vision totalement déformée de la richesse des Français. A titre d’illustration, une personne seule bénéficiant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) peut toucher jusqu’à 1 000 euros par mois, soit une créance « implicite » sur une retraite entière d’une valeur patrimoniale de plus de 200 000 euros. Un travail récent de France Stratégie montre qu’oublier ce patrimoine socialisé conduit à multiplier les contresens en France. En moyenne, les 50-65 ans ont un patrimoine socialisé lié aux retraites qui représente de l’ordre de 450 000 euros, soit bien plus que le patrimoine classique représentant autour de 290 000 euros par personne.
3/ Dans quelle mesure peut-on penser que le clivage principal, au sein de l’économie française, se trouve quelque part entre les acteurs économiques soumis à la pesanteur de la réglementation nationale et ceux qui y échappent ? Comment ne pas accentuer ce clivage.
En France, un fossé se creuse entre ceux qui arrivent – ou n’arrivent pas – à repousser sur autrui l’impact des pesanteurs nationales, qu’elles soient fiscales ou réglementaires. Lorsqu’on étudie l’impact des décisions publiques, on observe que leur incidence réelle sur l’activité économique et les modes de vie varie du tout ou au tout. Prenons l’exemple d’une augmentation de la fiscalité sur les entreprises. Selon les cas, son impact sera intégralement reporté sur les consommateurs sous la forme de hausse des prix, sur les salariés sous la forme d’une stagnation des rémunérations, ou sur les propriétaires sous la forme d’une réduction de leurs revenus et de la valeur de leur patrimoine. Une entreprise comme Apple, produisant des produits à très forte valeur ajoutée, n’aura aucun mal à reporter une taxe sur ses consommateurs, tandis qu’un petit artisan subira de plein fouet la fiscalité franco française et notamment nos impôts de productions décorrélés des résultats économiques. Selon que vous êtes plus ou moins bien positionné, vous arrivez à reporter les pesanteurs françaises sur autrui ou vous les subissez avec dans le pire des cas la disparition de votre activité. C’est pour cela que le tissu de TPE et PME est souvent plus fragile. Contrairement à d’autres acteurs ayant en moyenne un pouvoir de marché significatif voire les moyens de déplacer leur production hors de France, il n’a pas d’alternative.
On retrouve ce genre de clivages dans toutes les activités françaises, y compris dans les activités à but non lucratif avec une opposition entre ceux qui produisent et ceux qui inventent de la norme fiscale ou réglementaire. Les collectivités locales ont, par exemple, dû s’organiser en se dotant d’un Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) pour tenter de limiter les dégâts liés à la surabondante production de normes étatiques. Bénéficiant d’une faible autonomie financière et normative, les collectivités sont souvent victimes de l’inflation réglementaire. Au même titre que les entreprises et les ménages, elles subissent de plein fouet une multitude d’injonctions paradoxales et de surcoûts. De même, l’armée ou le secteur sanitaire et social subissent une multitude de contraintes qui réduit l’aptitude à délivrer le service attendu en limitant la réactivité et la capacité d’innovation.
4/ Dans quelle mesure peut-on affirmer que le seul qui profite des ressources des autres (quitte à les perdre ensuite), c’est l’Etat ?
La sphère productrice de normes et de fiscalités vit de plus en plus déconnectée des réalités. L’Etat en France a de moins en moins de contraintes de bouclage opérationnelles ou économiques. Lorsqu’il réglemente, fiscalise ou génère des déficits, il reporte la plupart des coûts sur autrui. Dans une multitude de domaines, les mécanismes qui permettraient de limiter son emprise sont inexistants ou défaillants. Il faudrait les créer pour aligner la création de richesse en France et sa redistribution aux différents acteurs et citoyens.
L’agriculture en fournit une illustration emblématique. Une étude récente de l’Institut économique Molinari montre que la France représente 35 % des impôts de production agricoles en Europe et que nos agriculteurs ne touchent que 14 % des subventions après impôts, alors qu’ils représentent 18 % de la production. Moins aidés que la plupart de leurs compétiteurs européens, nos agriculteurs sont aussi plus entravés par des réglementations tatillonnes et paralysantes, d’où leur perte de compétitivité vis-à-vis du reste de le l’UE. Pour nombre d’agriculteurs, le rapport de force constitue la seule façon de se faire entendre pour tenter de limiter les entraves à leur activité. La manifestation est leur principale force de rappel, ce qui témoigne d’un dysfonctionnement institutionnel.
Retrouvez ici l’intégralité de l’échange, avec les réponses de Pierre Bentata.