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Méchants gros, gentils petits: petits rappels de fondamentaux économiques qui semblent totalement échapper à la gauche sur le chiffre d’affaires des entreprises

Le chiffre d’affaires n’est pas du tout un bon indicateur de la santé financière d’une entreprise. Il représente simplement le volume d’activité de la société. Certaines entreprises ont de bons résultats avec un chiffre d’affaires assez faible car elles ont des marges très significatives. Les réponses de Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, aux questions d’Atlantico.

Atlantico : Durant l’examen de l’article 11 du projet de loi de finances en octobre dernier, le NFP est parvenu à faire voter une surtaxe temporaire de 120 % sur l’impôt des plus grandes entreprises. Selon Manuel Bompard, cela va porter l’impôt sur les bénéfices à 40 % pour celles dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros et à 55 % pour celles de plus de trois milliards d’euros. D’où vient l’obsession des figures politiques, particulièrement à gauche, pour la question du chiffre d’affaires ? Est-ce un bon indicateur de la performance et de la santé financière d’une entreprise ?

Nicolas Marques : Le chiffre d’affaires n’est pas un bon indicateur de la santé financière d’une entreprise. Il représente simplement le volume d’activité de la société. Certaines entreprises ont de bons résultats avec un chiffre d’affaires assez faible car elles ont des marges très significatives. D’autres ont un énorme chiffre d’affaires et de mauvais résultats à cause de marges faibles, voire négatives. Se baser sur le chiffre d’affaires est donc une erreur.

De même, penser qu’augmenter les taxes sur les entreprises pénalise seulement les actionnaires est une erreur. Dans un pays comme la France, la taxe qui vise les entreprises est supportée avant tout par les salariés. Lorsque l’Etat demande à une entreprise de s’acquitter d’un impôt, elle va chercher à reporter le poids de la taxe sur ses consommateurs, ses actionnaires ou ses salariés. Dans un monde ouvert, avec une concurrence internationale, les consommateurs ont le choix. Si un produit français est trop cher, il sera remplacé par produit étranger meilleur marché. Il est donc difficile de reporter les taxes sur les consommateurs. De même, les investisseurs sont mobiles. Il sera difficile – voire impossible – de reporter sur les actionnaires les surcoûts liés aux taxes franco-françaises. Dans la plupart des cas, les salariés supporteront donc le poids de l’impôt.

Les forces politiques de gauche ont une perception assez particulière du monde des entreprises avec d’un côté les méchantes grosses entreprises et de l’autre les gentilles petites entreprises. Qu’est-ce qui dicte cette logique ? Comment expliquer une telle vision ?

Une partie de la gauche se mobilise, depuis le XIXème siècle, contre les entreprises accusées de tous les maux. Pour les tenants de la lutte des classes, plus une entreprise est grande, plus elle est susceptible d’exercer un rapport de force au profit des actionnaires et au détriment des autres parties prenantes, qu’il s’agisse des consommateurs, salariés ou des administrations. Selon cette vision, seules les entreprises publiques ne sont pas suspectes. Ne recherchant pas le profit, elles sont présentées comme étant à la pointe du progrès social, à l’opposé des entreprises privées et des multinationales qui ne penseraient qu’à leurs riches actionnaires.

Cette approche est terriblement réductrice. Elle occulte le fait qu’en recherchant le profit, les entreprises se mettent en position de rendre service au plus grand nombre. Comme l’expliquait Adam Smith au XVIIIème siècle, « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt ».

D’autre part, les grandes entreprises sont souvent attrayantes pour les salariés. C’était vrai dès le XIXème siècle avec des employeurs en pointe de l’innovation sociale pour des raisons très diverses allant de la philanthropie à l’opportunisme. C’est toujours une réalité aujourd’hui. En moyenne, les rémunérations dans les établissements de 1 000 salariés sont 80 % plus élevées que dans les entreprises de moins de 10 salariés. De même, les grandes entreprises offrent souvent des compléments de rémunération plus attrayants avec notamment de l’épargne salariale ou de l’actionnariat salarié.

Enfin, satisfaire l’actionnaire n’est pas antinomique avec le bien commun. Tous les salariés qui bénéficient de fonds de pension le savent. Ils sont donc directement associés à la création de richesses par l’intermédiaire des dividendes et plus-values capitalisés pour leur retraite. Dans les années 1910, Jean Jaurès était en faveur de la généralisation collective de la capitalisation pour cette raison. Son objectif était d’améliorer la condition ouvrière, pas d’entretenir la lutte des classes avec des oppositions stériles.

L’économiste Sylvain Catherine a illustré, sur les réseaux sociaux, les erreurs des dirigeants politiques liées à leur obsession pour le chiffre d’affaires des entreprises. Selon lui, Carrefour a sept fois le chiffre d’affaires d’Hermès mais Hermès vaut vingt-deux fois Carrefour. En quoi cela confirme-t-il que le chiffre d’affaires est un très mauvais critère pour mesurer le succès d’une entreprise ? Cela doit-il permettre de s’interroger sur les impôts de production ?

Taxer en fonction du chiffre d’affaires est une mauvaise idée. Les économistes sont relativement unanimes sur le fait qu’il vaut mieux taxer la valeur ajoutée, avec la TVA, ou les bénéfices, avec l’impôt sur les sociétés.

Depuis 2017, il y a eu un allègement significatif de l’impôt sur les sociétés. En 2019, la France était 37ème sur 38 dans les pays développés en fiscalité sur les bénéfices, entre la Colombie et le Costa Rica. Avec les réformes faites sous l’égide d’Emmanuel Macron, la situation s’est améliorée. En 2023, la France était 27ème sur 38 pays de l’OCDE, soit un niveau plus raisonnable en termes de fiscalité sur les bénéfices, entre le Chili et le Canada, et à un niveau légèrement moins élevé que l’Allemagne. Ce recul de la fiscalité a contribué à la décrue du chômage et à l’augmentation du taux d’emploi.

Néanmoins, la France conserve une fiscalité anormale. Au-delà de l’impôt sur les sociétés, elle prélève des impôts de production qui visent les entreprises indépendamment de leur rentabilité. Cette fiscalité fragilise, voire tue, les entreprises à faible marge. Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont cherché à réduire significativement les impôts de production, mais le résultat est en demi-teinte.

En 2023, la France représentait 31 % de la fiscalité de production industrielle dans l’Union européenne alors que notre pays représentait 12 % de la production. Nous avions encore 9 milliards de fiscalité de production sur l’industrie, subventions déduites. Nos voisins avaient beaucoup moins de taxes, voire aidaient la production au lieu de la taxer. En particulier, l’Allemagne subventionnait sa production industrielle à hauteur de 9 milliards en 2023.

Il faudrait démanteler les impôts de production. Certains prétendent que ce n’est pas faisable dans une France avec des finances publiques délabrées, mais c’est une erreur. Les pays qui ont supprimé les impôts de production ont bien fait leurs comptes. Ils ont observé qu’une production dynamique est la meilleure façon de protéger les finances publiques. Plus de production, c’est plus d’emplois, de meilleures rémunérations, plus de valeur ajoutée et de profits. C’est donc plus de cotisations sociales, de TVA et d’impôts sur les sociétés, ce qui profite aux finances publiques. Nos impôts de production sont des impôts gaspilleurs, ils coûtent plus que ce qu’ils rapportent car ils détruisent les autres assiettes fiscales.

Le vrai obstacle à la baisse des impôts de production est lié à l’absence de décentralisation financière. Une partie significative des impôts de production finance les collectivités locales. Ces dernières ont été échaudées par la suppression de la taxe d’habitation au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron et ont vu ensuite d’un mauvais œil la baisse de la fiscalité de production. L’Etat a eu raison de chercher à réduire cette fiscalité destructrice de richesses, mais il n’a pas eu le courage d’organiser un Big-Bang de la fiscalité locale. Il faudrait réellement effacer les impôts de production et, en contrepartie, permettre aux collectivités locales de se financer par des impôts ayant un sens d’un point de vue économique, par exemple, en partageant la TVA et l’impôt sur les bénéfices à l’image de ce qui se fait chez nos voisins. C’est clef pour l’économie, mais aussi pour les collectivités.

L’imposition progressive des entreprises est-il quelque chose qui fait sens ?

L’imposition progressive des entreprises est l’archétype de la mauvaise idée. Dans le monde entier, les entreprises sont imposées sur en fonction de leurs résultats avec un barème uniforme. Si une imposition progressive était instaurée en France avec par exemple des taux d’impôts plus élevés selon le niveau des bénéfices, cela inciterait encore davantage les entreprises à limiter leur taille. Elles cesseraient de grossir pour éviter que leur taux d’imposition augmente et que leur rentabilité se dégrade.

La progressivité pénaliserait toujours plus le développement en multipliant les distorsions économiques. Elle se retournerait aussi contre les salariés. Les entreprises de grande taille sont souvent celles qui font le plus de rendements d’échelle et celles qui rémunèrent le mieux leurs employés. Si les entreprises grossissent moins, elles auront moins de moyens pour mieux rémunérer leur personnel.

Cette proposition de nouvel impôt témoigne-t-elle d’une certaine incompréhension des fondamentaux économiques concernant le fonctionnement même des entreprises ?

Ceux qui cherchent à taxer toujours plus les entreprises, en faisant croire que cela n’aura pas d’impact sur les ménages, n’ont pas compris comment fonctionne le monde ou occultent les réalités.

Les économistes ont identifié, il y a des siècles, que la fiscalité, par définition poreuse, passe d’un acteur à un autre. Ils ont montré que le contribuable « statutaire » ou « juridique » est rarement celui qui supporte in fine d’un point de vue effectif l’impôt. Dès 1776, Adam Smith soulignait que nombre d’« impôts ne sont pas supportés, en définitive, par le fonds ou la source du revenu sur lequel on avait eu l’intention de les faire porter ». L’incidence réelle de la fiscalité dépend de la capacité des contribuables à reporter la charge fiscale sur des tiers, en se muant en collecteurs d’impôts payés par d’autres.

L’impôt visant les entreprises rejaillit nécessairement sur les ménages et en général sur les salariés. Si le grand public avait une bonne compréhension de ce mécanisme de ruissellement, ce genre de proposition démagogique serait moins récurrent. La majeure partie de la population comprendrait que l’augmentation des impôts ciblant les entreprises rime, in fine, avec l’atrophie du pouvoir d’achat.

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