Provisionner les retraites des fonctionnaires pour économiser 60 milliards d’euros par an
Nous aurions économisé 35 milliards d’euros d’impôts ou de dettes en 2023 si l’Etat avait provisionné ses retraites comme le Sénat. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans l’Opinion.
François Bayrou vient de briser un tabou, mais cherchera-t-il à aller plus loin et à traiter le problème à la racine ? On ne le répètera jamais assez, le vieillissement est la principale cause de la dégradation des finances publiques. Depuis la fin du baby-boom, la France enregistre un demi-siècle de déficits, contreperformance inédite depuis la Révolution. Et la situation empire, le retour au seuil maastrichtien de 3 % est sans cesse reporté, alors que l’idée d’équilibrer les comptes n’est quasiment plus défendue.
Les retraites, qui représentent 24 % des dépenses publiques et expliquent 45 % de leur progression depuis 1977, jouent un rôle majeur dans cette spirale. Pour faire face à la hausse des pensions, les cotisations sociales ont augmenté, ce qui a nui à la compétitivité et au pouvoir d’achat, conduisant alors à la mise en place de dispositifs de baisses de charges que certains rêvent de raboter.
Provisionnement. Dans le secteur public, le phénomène prend des formes différentes, mais il est aussi problématique. L’Etat gère ses retraites en dehors de la répartition du privé et sans respecter les règles de provisionnement imposées aux employeurs classiques. Ses dépenses de retraite ont triplé en euros constants depuis 1977. Elles représentent 62 milliards d’euros en 2023, ce qui représente une hausse du déficit structurel de 42 milliards d’euros par an.
Et c’est sans tenir compte des subventions versées aux autres régimes spéciaux (8 milliards d’euros). Cette dépense contrainte contribue à l’aggravation des déficits mais aussi à la dégradation du service public rendu aux contribuables. Les retraites consomment notamment 30 % du budget de l’Education nationale, plus que l’enseignement primaire ou le secondaire, ce qui explique la perte d’attractivité des métiers d’enseignants.
Au Québec, les pensions – au lieu d’être financées par le budget qui était lourdement déficitaire dans les années 1990 – sont désormais financées par un fonds souverain. La recette québécoise a été radicale
Sommes-nous condamnés aux remèdes amers, qu’il s’agisse d’augmenter les prélèvements obligatoires, de travailler bien plus longtemps que ce qui est prévu, ou aux déficits perpétuels ? Pas nécessairement, comme l’illustrent des exemples étrangers mais aussi français. En matière de retraite, il est possible de faire des économies substantielles sans réduire les prestations.
Provisionner même par endettement, cela rapporte gros
Québec a, par exemple, provisionné l’intégralité des retraites des employés publics sur une trentaine d’années. Les pensions – au lieu d’être financées par le budget qui était lourdement déficitaire dans les années 1990 – sont désormais financées par un fonds souverain. La recette québécoise a été radicale. Le gouvernement a emprunté sur les marchés financiers et placé les sommes levées à la Caisse des dépôts locale. Le rendement financier (7,4 % par an sur trente ans) a été bien supérieur au coût de la dette publique (4,5 % par an), ce qui a permis de constituer un fonds souverain représentant 20 % du PIB.
En France, quelques institutions publiques ont eu la sagesse de provisionner les retraites de leurs employés. Elles ont placé des capitaux pour autofinancer tout ou partie des pensions qu’elles versent, sans faire appel aux prélèvements obligatoires. Les contribuables bénéficient en retour de services publics présentant un meilleur rapport qualité/prix. Leurs impôts servent à rémunérer les personnels en activité, les retraites étant financées par le rendement de l’épargne.
Cette combinaison fonctionne au Sénat (1,7 milliard placé pour les retraites, ce qui couvre l’essentiel des besoins) comme à la Banque de France (14 milliards placés, ce qui couvre la totalité des retraites). Nous aurions économisé 35 milliards d’euros d’impôts ou de dettes en 2023 si l’Etat avait provisionné ses retraites comme le Sénat. Et c’est 60 milliards qui auraient été autofinancés si l’Etat avait provisionné intégralement les retraites de ses personnels comme la Banque de France.
Lorsque les salariés de la Banque de France sont descendus dans la rue en 2020 pour s’opposer à la mise en place du régime universel de retraites, c’était pour défendre leur capitalisation collective contre les volontés prédatrices de l’Etat
Banque de France. Ajoutons que la Banque de France, qui a trop d’argent au vu des retraites qu’elle verse, a restitué 2,6 milliards d’euros à l’Etat depuis 2020. Pour la banque centrale, les retraites ne sont pas un problème. Lorsque ses salariés sont descendus dans la rue en 2020 pour s’opposer à la mise en place du régime universel de retraites, c’était pour défendre leur capitalisation collective contre les volontés prédatrices de l’Etat. Une situation cocasse quand le déficit des retraites de l’Etat représente une cinquantaine de milliards par an.
Certains diront qu’il est trop tard pour provisionner. Il est vrai que le Sénat et la Banque de France ont commencé à mettre de l’argent de côté dès le XIXe siècle pour financer les retraites de leurs employés, mais l’exemple québécois illustre qu’il est possible de rattraper le retard. Il montre aussi qu’investir dans le provisionnement des retraites des personnels publics est un incontournable pour dégager des économies durables et redresser les finances publiques.
Attendre un éventuel rétablissement des finances publiques pour faire la même chose en France serait une erreur, car l’absence de provisionnement des retraites explique une part significative de nos déficits. Si l’on ne traite pas ce problème à la racine, la probabilité qu’il disparaisse par enchantement est nulle.
Redimensionner le Fonds de réserve pour financer 60 milliards de retraites par an
Par chance, nous disposons déjà d’un Fonds de réserve pour les retraites (FRR), mis en place par Lionel Jospin au début 2000. Malheureusement, l’Etat a décidé de ne plus l’alimenter depuis 2010 et de consommer ses intérêts de façon prématurée. Le FRR français rapporte en moyenne 2,8 % par an depuis 2011 quand on tient compte des revenus et plus-values générés par l’épargne (3,9 % par an) et retranche le coût de la dette sociale française (1,1 % par an).
S’il avait été alimenté comme prévu, le FRR aurait atteint les 150 milliards d’euros en 2020. Surtout, sa performance aurait été meilleure et aurait généré 76 milliards d’euros de gains selon la dernière étude de l’Institut économique Molinari, au lieu des 13 milliards de richesse créés depuis 2011. Les réserves permettraient d’éviter que les déficits des retraites par répartition ne génèrent de l’endettement supplémentaire. Nous ne serions pas exténués par des mois de débats autour de réformes paramétriques des retraites qui ne permettent pas de redresser significativement les comptes.
Une vraie façon de réduire les dépenses de retraite de l’Etat et de protéger le FRR serait d’en faire un fonds souverain dédié au financement des retraites des fonctionnaires
Une vraie façon de réduire les dépenses de retraite de l’Etat et de protéger le FRR serait d’en faire un fonds souverain dédié au financement des retraites des fonctionnaires. Si le FRR se voyait confier le provisionnement des retraites de la fonction publique d’Etat, une montée en puissance sur une quarantaine d’années avec 1 % du PIB investi par an permettrait de créer un fonds représentant 88 % du PIB, puis de le maintenir à taille constante.
Cela enrichirait l’Etat à hauteur de 48 % du PIB quand on retire les 40 % d’endettement et de charge d’intérêt générés par l’opération. D’ici 2070, les intérêts dégagés permettraient de financer l’intégralité des retraites versées par l’Etat à ses personnels et les intérêts liés à la montée en puissance du fonds.
Bien sûr il faudrait emprunter, mais emprunter pour financer un investissement n’a rien à voir avec s’endetter pour payer des dépenses de consommation. Lorsqu’un individu emprunte pour acheter sa résidence principale, il crée un patrimoine et se met en position de diminuer ses dépenses futures. Si le même individu reste locataire, voire s’endette chaque année pour payer son loyer, il s’appauvrit. Pour économiser sur ses dépenses courantes et s’enrichir, il faut accepter d’investir. Le même raisonnement vaut pour l’Etat et les retraites. Il faut organiser l’emprunt qui rapporte pour ne plus subir la dette qui coûte.
Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne et l’Espagne ont des projets de fonds de réserve des retraites financés par l’endettement
Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne et l’Espagne ont des projets de fonds de réserve des retraites financés par l’endettement. Sur ce point clef pour le redressement des finances publiques, nous pourrions – une fois n’est pas coutume – ne pas être isolés. En Belgique, en Allemagne, en Espagne, les promesses de retraite des employés des administrations représentent comme en France près de 50 % du PIB. Au Luxembourg, en Autriche ou au Portugal elles dépassent même les 60 %. Provisionner les retraites des fonctionnaires, c’est à la fois assumer les promesses de l’Etat, restaurer le rapport qualité/prix des services publics, rééquilibrer les comptes publics et in fine soulager la facture pour les contribuables.