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Derrière les attaquées portées aux auto-entrepreneurs, le cœur du mal français

Face à la colère et l’inquiétude des auto-entrepreneurs, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a annoncé que l’abaissement du seuil d’exemption de TVA, prévu dans le budget adopté ce jeudi 6 février, allait être « suspendu » le temps d’une « concertation ». Les réponses de Nicolas Marques aux questions d’Atlantico.

Atlantico : Le ministre de l’Economie, Éric Lombard, a annoncé ce jeudi soir la suspension de l’abaissement du seuil d’exemption de TVA, une mesure très impopulaire auprès des microentreprises, qui fixait le nouveau seuil d’exemption à 25.000 euros de chiffre d’affaires annuel. Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, n’a pas manqué de mentionner combien le statut d’auto-entrepreneur produit des inégalités. A- t-elle raison de penser que les exonérations dont bénéficiait ce statut sont injustes ?

Nicolas Marques : Ceux qui attaquent le statut d’autoentrepreneur font mine d’oublier qu’il a été conçu pour contourner deux handicaps franco-français, la complexité administrative et le coût du travail.

C’est parce que créer une entreprise en France est complexe que la micro-entreprise et le statut d’autoentrepreneur ont été mis en place et ont suscité un vrai engouement. En 2004, le classement Doing Business de la Banque mondiale montrait qu’il fallait autant de temps pour débuter une activité en France qu’au Burkina Faso ou qu’en Albanie (41 jours). Grâce aux simplifications opérées, le délai de création aurait été réduit par 10 entre 2004 et 2020.

Deuxième aspect, employer un salarié est particulièrement coûteux en France. D’où l’idée de pousser le travail indépendant. Nous sommes encore les champions des prélèvements obligatoires en 2024, avec des prélèvements fiscaux et sociaux représentant 54 % des sommes payées par les employeurs. Le statut d’autoentrepreneur a, pour certains, été le moyen de contourner ce handicap.

Ceux qui disent que ces statuts particuliers génèrent des inégalités n’ont pas tout faux, mais ils omettent l’essentiel. C’est parce que les pouvoirs publics ont été incapables de résoudre nos handicaps structurels – en allégeant drastiquement la réglementation et réformant le financement de la protection sociale pour tous – qu’il ont mis en place ces statuts dérogatoires. Ce sont des contournements insatisfaisants mais indispensables. Les affaiblir sans avoir traité au préalable les problèmes de fond est une erreur funeste.

Il est devenu, en France, nécessaire de contourner le système fiscal à l’aide d’exonérations de charges… Quand il n’est pas tout simplement contourné. Qu’est-ce que cela dit du fond du problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui ?

Nicolas Marques : Nous sommes confrontés à la procrastination de l’administration française qui rechigne à traiter ses problèmes structurels pourtant bien identifiés.

C’est impossible au XXIème siècle, marqué par le vieillissement, d’avoir une économie compétitive et des salaires attrayants sans adapter la protection sociale pour financer une partie des retraites par l’épargne. Les retraites représentent le premier poste de dépenses publiques en France, avec 14% du PIB et un quart des dépenses collectives. Le tout répartition, avec des retraites financées intégralement par des cotisations sociales, était adapté aux périodes avec beaucoup d’actifs et peu de retraités. A l’époque du baby-boom, des cotisations raisonnables permettaient de financer aisément les retraites. Depuis la fin du baby-boom, ce n’est plus possible. Les cotisations retraite ont augmenté significativement, la compétitivité en a pâti. La situation des actifs s’est dégradée avec une hausse du chômage et des progressions de rémunérations significativement moins rapides que le coût du travail.

Ce n’est pas ce que l’on constate dans les pays faisant appel à la retraite par capitalisation. Lorsque vous capitalisez, les cotisations retraites sont placées, elles rapportent des dividendes et plus-values. A cotisation retraite égale, vous avez au final plus de retraite.

Grâce à la capitalisation, avec un tiers de cotisation retraite en moins les salariés néerlandais auront un tiers de retraite en plus. Capitaliser est bon pour la compétitivité, bon pour les salaires nets et bon pour les retraités. Tant que nous ne généraliserons pas la capitalisation collective en complément de la répartition – comme l’a fait la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) nous aurons des retraites coûteuses et moins attrayantes.

Dans quelle mesure faut-il penser que la lourdeur du système fiscal français obère également les dynamiques économiques ? Quel impact sur la santé économique du pays ?

Nicolas Marques : L’impact de nos excès fiscaux et réglementaires est délétère, il pousse la création de richesses hors de France, alors que nous disposons par ailleurs de formidables atouts.

Ce n’est pas un hasard si les entreprises du CAC 40 ou nos ETI sont très internationalisées. Au-delà des enjeux de diversification et d’implantation sur les marchés étrangers, elles ont un besoin vital de réduire leur exposition aux excès de l’administration française. Nombre de PME – et a fortiori de TPE – n’ont pas autant de facilités à s’extraire du cadre franco- français, ce qui explique l’importance des défaillances ou leurs difficultés à grandir.

Phénomène tout aussi insidieux, la surfiscalité contribue aussi au départ de salariés. Selon Eurostat, plus de 530 000 personnes résidaient en France et travaillaient à l’étranger en 2023, alors que les habitants des pays limitrophes venant travailler chez nous étaient à peine quelques dizaines de milliers. La France représente 24 % des frontaliers de l’Union européenne, une proportion bien plus élevée que son poids dans la population européenne (15 %). Selon la Banque de France, nos résidents ont cherché hors de France 32 milliards d’euros de rémunération en 2022. Dans le sens inverse, les résidents à l’étranger sont allés chercher 1,5 milliard de rémunérations dans l’Hexagone, soit 21 fois moins.

Ces indicateurs montrent clairement que nos lourdeurs se retournent contre nos entreprises et nos concitoyens. Le bon sens serait de faire des réformes massives au lieu de chercher à collecter toujours plus d’impôts et de prélèvements.

Retrouvez sur le site d’Atlantico les réponses de Marc de Basquiat et Jean-Pierre Gérard

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