Le COR ne rend service ni aux finances publiques, ni aux fonctionnaires
Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, décrypte la situation des retraites en France présentée par le Conseil d’orientation des retraites (COR) et la compare aux chiffres de François Bayrou. Pour lui, il existe bien des solutions pour sauver le système, et elles reposent sur la capitalisation. Une interview par Frédéric Paya de Valeurs actuelles en date du 18 février 2025.
Le Conseil d’orientation des retraites (COR) annonce un excédent de 3,8 milliards d’euros pour le système des retraites en 2023, mais prévoit qu’il sera déficitaire de 10 à 15 milliards d’euros en 2030. Dans son discours de politique générale, François Bayrou évoque un déficit de 55 milliards. Qui a raison ?
Le COR a l’habitude de comptabiliser les excédents ou déficits des caisses de retraite du secteur privé. Cependant, lorsqu’il s’agit du secteur public, il considère que l’État « équilibre » les retraite à travers des subventions, payées par son budget. Certaines caisses, comme celles de la RATP et de la SNCF, sont particulièrement déséquilibrées. C’est aussi le cas du régime de retraites des fonctionnaires d’Etat avec 1,2 retraité pour un cotisant, contre 0,6 retraité par cotisant dans le privé. L’approche du COR ne poserait pas de problème si les comptes de l’État étaient excédentaires, ce qui lui permettrait d’éponger les déficits de ces régimes spéciaux. Mais nous sommes dans la situation inverse, une structure déficitaire n’a pas le pouvoir d’effacer les déficits des entités qui la composent.
Les retraites entraînent des dépenses considérables pour l’État, et cette situation ne cesse d’empirer : aujourd’hui, les retraites des fonctionnaires coûtent plus de 60 milliards d’euros, contre 20 milliards (en euros constants) en 1977. Si l’on considérait l’administration comme une gigantesque caisse de retraite et la comparait au secteur privé, elle serait déficitaire de quarante milliards d’euros par an pour les fonctionnaires d’Etat, auxquels il faudrait ajouter 8 milliards pour compenser les déséquilibres des régimes spéciaux type SNCF ou RATP et 8 milliards pour les collectivités locales.
Les calculs du COR sont-ils donc adaptés à la réalité démographique ?
L’approche du COR masque les déficits liés aux retraites, et surtout la causalité des déficits publics. Depuis la fin du baby-boom, les dépenses de retraites explosent et expliquent la moitié des déficits publics. Le vrai problème réside dans l’approche du COR, qui ne permet pas de montrer clairement l’origine du déséquilibre des comptes. Dans un régime universel financé comme les retraites du privé d’aujourd’hui, le déficit des retraites serait de 56 milliards par an. Ce montant est proche de celui annoncé par François Bayrou. En fait, depuis 20 ans, le COR a ignoré les dérapages liés aux retraites publiques, ne rendant service ni aux finances publiques ni aux fonctionnaires. En minimisant cette problématique, il détourne l’attention des vraies solutions.
C’est-à-dire ?
En France, certaines administrations parviennent à financer des retraites généreuses sans que cela pèse trop sur le contribuable. Au 19e siècle, le Sénat a mis en place un régime par capitalisation, d’abord pour ses propres fonctionnaires, puis étendu aux sénateurs. Aujourd’hui, le Sénat dispose d’un actif de 1,5 milliard d’euros, et deux tiers des retraites sont autofinancés grâce aux placements réalisés dans le cadre de la capitalisation. Si l’État appliquait le même principe pour ses fonctionnaires, il pourrait économiser 35 milliards sur les 60 milliards que lui coûtent les retraites de ses fonctionnaires. Autre exemple : celui de la Banque de France qui a placé 14 milliards d’euros pour financer les retraites de ses employés. Certaines années, les retraites du personnel sont financées intégralement par cette capitalisation collective. Mieux encore, la Banque de France dégage des excédents, ayant versé 2,6 milliards d’euros à Bercy depuis 2020 ! Cela explique, sans doute, pourquoi les syndicats de la Banque de France ont défilé lors des manifestations contre le régime universel, afin de conserver leur régime par capitalisation. Si l’État adoptait la même approche que la Banque de France, il pourrait économiser 60 milliards d’euros.
Capitalisation, d’accord, mais il faut aussi financer la répartition…
Le vrai sujet, en effet, est de savoir comment mettre de l’argent de côté pour autofinancer ses retraites. L’État pourrait avoir recours à l’endettement, comme l’a fait la province du Québec. Pour réduire ses dépenses à long terme liées aux retraites, elle a emprunté sur les marchés financiers des sommes considérables, qu’elle a placées judicieusement dans un fonds de pension souverain qui permet aujourd’hui d’auto financer les retraites de ses employés. À l’Institut économique Molinari, nous avons réalisé des simulations : si l’État empruntait chaque année 1 % du PIB pendant 42 ans, il se constituerait un actif équivalent à 88 % du PIB. Le coût de l’endettement serait de 48 % du PIB, mais l’État s’enrichirait de 40 % du PIB, ce qui lui permettrait d’autofinancer les retraites des fonctionnaires. Les retraites des fonctionnaires seraient financées par les rendements de l’épargne plutôt que par les impôts et les déficits. Cela permettrait d’aborder la question par le haut, en desserrant les contraintes budgétaires actuelles.
Que pensez-vous qu’il ressortira du conclave ?
Il est intéressant de noter que les partenaires sociaux chargés de gérer les retraites du privé au sein de l’Agirc-Arrco ont acquis un véritable savoir-faire. Leur gouvernance, respectueuse du temps long, contraste avec celle de l’État, qui se limite à des budgets annuels. Ils sont donc conscients qu’il faut trouver des solutions pour garantir la pérennité du système. Parallèlement, l’épargne retraite s’est développée dans le privé, avec les PER Collectif ou PER Obligatoire. Mais surtout, depuis 2006, tous les fonctionnaires cotisent sur leurs primes à un régime additionnel de la fonction publique (RAFP), qui n’est autre qu’un fonds de pension obligatoire cogéré par les partenaires sociaux. Cela leur permet de mieux comprendre que la capitalisation collective enrichit et ne génère aucune inégalité. Le terme « capitalisation » n’est plus tabou. Au sein du conclave, la CPME a pris position pour que tout le monde cotise à un système de capitalisation collective. Il est urgent d’agir, car le vrai sujet est le pouvoir d’achat des retraités, qui devrait chuter de 17 % d’ici à 2070 par rapport à la population. Il est donc impératif de compléter la répartition en généralisant la capitalisation collective.