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Le nucléaire clef pour l’intelligence artificielle

S’il y a un endroit en Europe où des centres de données d’IA fortement consommateurs peuvent être installés sans concurrencer les autres besoins, c’est bien la France. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Georges Sapy, respectivement présidente de l’Institut économique Molinari et ancien ingénieur d’EDF, expert en énergie nucléaire, publié dans L’Opinion.

Le nucléaire a fait son grand retour dans le débat public avec la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’électricité, d’un côté, et récemment les annonces pronucléaires des géants de la tech, de l’autre. L’instabilité géopolitique a rappelé aux Français combien son parc nucléaire, construit au cours des cinquante dernières années, apportait une source d’énergie pilotable, compétitive et souveraine. Par ailleurs, les besoins énergétiques liés au développement du numérique sont fulgurants et vont mobiliser une part croissante de l’électricité produite.

En effet, les besoins énergétiques du numérique – centres de données, transmission, requêtes, fabrication des puces, des serveurs, etc. – explosent. Les systèmes utilisant l’IA, qu’elle soit générative ou dotée de premières capacités de raisonnement, nécessitent, en effet, des entraînements intensifs de leurs algorithmes qui sont beaucoup plus consommateurs d’électricité que les simples recherches sur le net. Ainsi, dans un rapport de janvier 2024, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) soulignait qu’une recherche sur ChatGPT nécessitait 2,9 wattheures en moyenne, soit 10 fois plus qu’une recherche sur Google.

Plus globalement, de très nombreuses estimations existent. Selon de données de l’AIE citées dans un rapport du Shift Project, si l’on s’en tient aux seuls centres de données, leur consommation d’électricité était estimée à environ 200 TWh/an (AIE, 2021) avant l’apparition de l’IA générative. Depuis cette dernière, la consommation a rapidement augmenté : toujours selon l’AIE, elle est actuellement estimée à 460 TWh/an (AIE 2024) soit la consommation d’électricité de la France, et pourrait atteindre 650 à 1050 TWh/an d’ici 2026 et jusqu’à près 1 400 TWh/an d’ici 2030 dans un scénario haut. Une autre indication peut être donnée : dans une tentative d’évaluer les besoins mondiaux en énergie de l’IA, un thésard de l’université d’Amsterdam s’est basé sur les données de la société NVIDIA, leader mondial de la conception des puces ultrapuissantes utilisées en intelligence artificielle. Il a évalué à 85 à 134 TWh la consommation d’électricité des 1,5 millions de serveurs que la société était en mesure de vendre en 2024. Et ces ventes se sont envolées dès le premier trimestre 2025.

Qu’en est-il pour la France ? Toujours selon le Shift Project, dans son schéma 2024 de développement du réseau d’ici 2040, RTE a pris en compte 8 GW de demandes de raccordements de centres de données. Sous l’hypothèse d’un taux d’utilisation de 60 %, cette demande correspondrait à une consommation d’environ 42 TWh/an. À plus court terme, une consommation pouvant rapidement atteindre 20 puis 30 TWh/an est évoquée. Les demandes de raccordements de nouveaux centres de données se situent préférentiellement en Ile-de-France et dans la région de Marseille, mais requièrent des renforcements de réseaux qui demanderont du temps. EDF a de son côté proposé 4 sites d’anciennes centrales thermiques immédiatement prêts à l’emploi, car déjà raccordés au réseau et capables d’accueillir au moins 2 GW de centres de données et en proposera 2 autres d’ici 2026.

En synthèse, qu’il s’agisse du monde ou de la France, les consommations supplémentaires d’électricité dues au développement de l’IA présentent encore des incertitudes, mais une chose est certaine : elles seront très importantes, et pèseront fortement sur les réseaux d’électricité et les moyens de production. Ces consommations vont de ce fait entrer en concurrence avec d’autres besoins : électrification des procédés industriels, de la mobilité et du logement, de la production d’hydrogène, etc. Notons que cet impact est déjà très sensible en Irlande qui, grâce à sa fiscalité favorable, a attiré beaucoup de centres mondiaux de données qui consomment déjà 20 % de l’électricité du pays.

Mais la consommation d’électricité n’est pas la seule question. La façon de la produire et notamment son empreinte carbone est cruciale dans le contexte du réchauffement climatique. Indépendamment de la politique énergétique actuelle des Etats-Unis, les géants mondiaux de l’IA, soucieux de leur image environnementale, n’envisagent pas d’alimenter durablement leurs centres de données d’IA à partir d’électricité d’origine fossile, charbon ou gaz. C’est notamment la conviction de Sam Altman, PDG d’OpenAI, qui lors du dernier sommet du forum économique mondial déclarait que pour satisfaire les besoins de l’Intelligence artificielle, il faudrait des technologies de rupture et sans doute une révolution dans la façon dont l’énergie est produite et consommée.

Il faut, en effet, disposer d’une production d’électricité décarbonée, mais qui soit en outre disponible en grandes quantités à un prix compétitif du fait des besoins annoncés et qui soit produite en continu car les centres de données doivent évidemment fonctionner de façon permanente. La source d’électricité qui répond le mieux à ces exigences est d’évidence, l’électricité d’origine nucléaire. L’autre solution décarbonée, l’électricité d’origine renouvelable, ne peut être produite en quantités suffisantes que par de très grands parcs éoliens ou photovoltaïques. Mais ces derniers produisent une électricité dont la variabilité et l’intermittence doivent être compensées par des systèmes de stockage-déstockage d’énergie extrêmement importants et coûteux pour satisfaire la continuité des besoins des centres de données.

Les géants américains de la tech ne s’y sont pas trompés et ont clairement indiqué et concrétisé leur souhait d’investir dans le nucléaire, qu’il s’agisse d’OpenAI, Microsoft, Google ou Amazon. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, des réacteurs nucléaires provisoirement arrêtés pour raisons économiques et mis sous cocon vont reprendre du service. Pour répondre à ces besoins, ce pays mise également sur les SMR (Small modular reactors) petits réacteurs dont les puissances unitaires ne dépassent pas 300 à 400 MW et pourront être construits en série.

Pour la France, son parc nucléaire est un formidable atout pour alimenter les centres de données d’IA et pour les attirer sur le territoire français. C’est d’autant plus cohérent qu’avec le retour d’une production d’électricité nucléaire abondante (plus de 360 TWh en 2024) qui a permis d’exporter 89 TWh, record historique absolu, la France dispose de marges de consommation très importantes dans les années à venir. S’il y a un endroit en Europe où des centres de données d’IA fortement consommateurs peuvent être installés sans concurrencer les autres besoins, c’est bien la France.

Or, au niveau européen la Commission européenne continue son travail de sape du nucléaire, ceci en dépit de deux évidences : d’abord l’échec stratégique patent et dévastateur de l’Energiewende de l’Allemagne qui, en abandonnant le nucléaire, s’est condamnée à utiliser le charbon et le gaz fossile pendant encore longtemps et à en payer le prix pour son électricité ; ensuite la légitime volonté de 14 pays de l’UE, rassemblés dans « l’Alliance du nucléaire » crée à l’initiative de la France, de prolonger l’utilisation de leur nucléaire ou d’y accéder pour ceux qui n’en disposent pas encore.

La dernière manœuvre de la Commission porte sur le financement du nouveau nucléaire : interrogée par des Parlementaires européens, la première vice-présidente exécutive de la Commission, Teresa Ribera, anti-nucléaire notoire en charge à la fois de la « transition propre, juste et compétitive » et de la concurrence, a « justifié » « l’absence de cadre pour les aides d’État visant le nucléaire » en ajoutant « nous procédons à une évaluation au cas par cas et allons continuer à le faire ». Il ne fait aucun doute que le financement des 6 EPR2 par la France est visé et que l’objectif est de le freiner ou de le complexifier au nom d’une politique de la concurrence contreproductive, alors que le nucléaire est crucial pour préserver la sécurité d’alimentation en électricité de l’Europe dans les années et décennies à venir.

Le choix du nucléaire est le meilleur moyen d’aligner les besoins économiques, technologiques, géopolitique et environnementaux. Il est assez rare d’avoir à portée de main une solution qui coche presque toutes les cases. Elle est la garantie d’une disponibilité suffisante d’électricité tout en pérennisant pour la France voire l’Europe un standard d’économie avancée.

 

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