L’écriture inclusive : solution ou problème
Texte d’opinion publié le 17 octobre 2017 dans La Tribune.
Un des problèmes est bien celui-là : l’écriture inclusive n’est pas simple, on pourrait même dire qu’elle rend illisible les mots.
Je dois faire un aveu : il y a encore quelques jours, j’ignorais tout de l’écriture inclusive. Depuis, j’ai eu le temps de me plonger dans le débat en lisant les réactions, indignée de Raphaël Enthoven sur Europe 1, prudente de Jean-Michel Blanquer sur LCI, enthousiaste de Raphaël Haddad, auteur d’un Manuel d’écriture inclusive, ou pleine d’humour de Gaspard Koenig.
Initialement, je me suis dit « Pourquoi pas, si c’est simple ». Un des problèmes est bien celui-là : l’écriture inclusive n’est pas simple, on pourrait même dire qu’elle rend illisible les mots. Plus grave, ce nouveau combat s’inscrit dans cette tendance à nous faire croire que l’usage de certains mots puisse être aussi violent que les agressions physiques justifiant une censure à l’égard de ceux qui continueraient à les utiliser. Cette tendance est de plus en plus marquée au sein de nos sociétés et je crois qu’il faut la prendre pour ce qu’elle est, à savoir une réelle menace pour la liberté d’expression.
La difficulté de rester lisible aussi bien à l’écrit qu’à l’oral
Peut-être ne savez-vous pas ce qu’est l’écriture inclusive. Sachez qu’elle a son site, un manuel et la maison d’édition Hatier a publié en mars dernier le premier manuel scolaire rédigé en écriture inclusive. Cette dernière « désigne l’ensemble des attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes. » Pour ce faire, elle propose donc d’accorder au féminin les noms de métiers, fonctions comme l’enseignante, la directrice, etc. ; de ne plus mettre de majuscule à Homme comme dans les droits de l’Homme (qui désigne ainsi les femmes et les hommes) ; d’utiliser la double flexion, la déclinaison au féminin et au masculin comme dans « elles et ils font bon ménage » ; ou l’utilisation d’un mot épicène, c’est-à-dire un mot qui n’a pas de genre grammatical comme « les membres ».
Jusque-là, les choses semblent encore assez faciles à mettre en œuvre en dépit de l’utilisation d’un jargon qui peut faire un peu peur. Là où les choses se corsent, c’est lorsqu’il s’agit d’écrire « les promoteur.rice.s de la méthode inclusive » tout en gardant une écriture lisible aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.
Toutes ces propositions ne feraient sans doute pas polémique si elles ne risquaient pas, au final, de rendre l’écriture plus complexe, la lecture plus difficile. Mais les risques associés à l’écriture inclusive ne s’arrêtent pas là. Celle-ci nous rapproche des formes d’exclusion et de censure identiques à celles qu’on voit se développer aux Etats-Unis autour des notions de microagressions, d’espaces protégés et d’avertissements. Depuis plusieurs années, il y a une tendance à prohiber, contrôler tout ce qui pourrait être le rappel d’un traumatisme ou d’une injustice.
Reconstruction du langage
Il est évident que certaines paroles peuvent blesser cruellement et que certains mots fâchent. Il existe d’ailleurs tout un domaine du droit visant à pénaliser les discours qui appellent au crime et qui participent à l’incitation à l’usage de la violence physique. Ce dont il est question ici est cependant de nature différente. Certains mots ou expressions ne sont pas accusés de pousser à l’action violente mais de constituer une agression émotionnelle. Pour s’en protéger, il y aurait donc une obligation de les bannir et de les remplacer par d’autres termes moins offensants.
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On en arrive donc à proposer de reconstruire le langage, à bannir certaines expressions, à créer des espaces intellectuellement protégés sur les campus, à interdire certains orateurs d’y prononcer un discours, à censurer le contenu de certains cours, à rebaptiser les noms de rues controversés ou encore à déboulonner les statues à l’effigie de personnages polémiques.
Évitement des émotions
Cette œuvre de reconstruction vise évidemment à éviter des émotions négatives pour certains. Cependant, en pratiquant l’évitement de ces émotions plutôt que leur confrontation, il est peu probable qu’elle permette de se sentir mieux au final. Tout aussi grave, elle risque de multiplier les tensions en ce qu’elle menace les échanges, les conversations et interactions entre personnes. Car, c’est lorsqu’ils ont lieu que les personnes découvrent comment communiquer les unes avec les autres et font spontanément évoluer leur langage. On peut d’ailleurs constater à cet égard que l’accord au féminin de nombre de noms comme « auteure » ou « professeure » est déjà entré dans l’usage, de même que la déclinaison au féminin et au masculin. Les choses se font progressivement garantissant ainsi une évolution de la langue qui respecte les uns et les autres dans l’utilisation qu’ils en font, sans procès d’intention.
De l’inclusion à la division
Comment préserver l’art de la conversation et de l’échange si le langage est de plus en plus systématiquement soupçonné de contenir des messages violents dont l’utilisateur n’a parfois et souvent même pas conscience ? Les mots qui peuvent « agresser », « fâcher » sont différents d’une personne à une autre et diviser les gens entre victimes et opprimés sur la base de leurs intentions et ressentis conduit à instaurer une police de la pensée.
Au final, ce combat va trop loin. Loin d’inclure, il divise sur des bases extrêmement floues et il est à craindre qu’il constitue une régression pour la cause des femmes. Comme l’a expliqué l’activiste noir pour les droits civique Anthony Van Jones aux étudiants de l’université de Chicago, l’idée de se protéger idéologiquement de toute émotion négative, d’exclure toute situation susceptible de créer un désaccord entre personnes est abominable. Le vrai combat, pour lui, n’est pas de se protéger de tout mais d’apprendre à faire face à l’adversité, à défendre ses idées et à obtenir l’égalité des droits là où cela est légitime.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.