Chaebol : ne pas jeter le bébé avec l’eau corrompue du bain !
Texte d’opinion publié le 16 novembre 2017 dans La Tribune.
Après les scandales à répétition de corruption au plus haut niveau de l’Etat qui ont agité la Corée du Sud depuis un an, la tentation est grande, face aux protestations des Coréens, de procéder à un démantèlement en règle des chaebol, accusés de tous les maux.
Alors que la menace nucléaire nord-coréenne gagne progressivement en crédibilité, la Corée du Sud est aussi menacée de l’intérieur par la succession de scandales financier à fort retentissement. Face à elle, le gouvernement pourrait être tenté de démanteler ces fameux Chaebol – conglomérats d’entreprises détenus par de grandes familles. Le remède serait sans doute pire que le mal car ils continuent de faire le succès économique dont le pays a besoin et surtout une plus grande transparence financière et une réduction des incitations à la fraude fiscale permettraient d’obtenir de meilleurs résultats.
En mars dernier, un nouveau scandale financier a entraîné la destitution et l’arrestation de la présidente Coréenne Park Geun-hye, en même temps qu’était condamné l’héritier de Samsung, Lee Jae-yong, à 5 ans de prison. Ce dernier a été condamné sans qu’apparemment il ait été possible de faire la preuve de sa corruption. Cela laisse entrevoir une condamnation probable de l’ancienne présidente permettant au nouveau gouvernement d’asseoir sa légitimité. Un nouvel épisode dans la longue saga qui oppose le gouvernement aux Chaebol.
Relations compliquées
La tentation est grande, face aux protestations des Coréens, de procéder à un démantèlement en règle des chaebol, accusés de tous les maux. Le gouvernement a toujours entretenu des relations compliquées avec ces entités dont il a toujours craint la trop grande taille. L’économie du pays et les finances du gouvernement en sont, en effet, extrêmement dépendantes et ce depuis la fin de la guerre. Néanmoins, les Chaebol ont joué un rôle essentiel dans l’essor de la Corée du Sud.
En effet, comment un pays pauvre de 20 millions d’habitants peu qualifiés et sans aucun capital a-t-il pu devenir une économie prospère de 50 millions de personnes à l’avant-garde de la technologie ? Parmi les raisons de cet envol, il y a bien sûr sa position stratégique entre la mer du Japon, la mer de Chine orientale et la mer Jaune, sa main d’œuvre bon marché et les investissements américains et japonais dont la Corée a pu bénéficier. Mais pas seulement. Des raisons institutionnelles sont aussi au cœur du développement coréen.
Après la guerre (1953), la Corée du Sud doit renforcer sa puissance militaire pour faire face à la menace nord-coréenne. Elle a aussi besoin de devises étrangères pour rembourser ses dettes à l’égard des Etats-Unis. Les dictatures de Syngman Rhee (1948-1960) et du Général Park Chung-hee (1962-1979) ont alors deux possibilités : organiser une gestion centralisée de l’économie ou bien se tourner vers le marché. Face au manque d’expérience et de qualifications des membres du gouvernement, ces derniers se laissent convaincre de recourir au marché par l’intermédiaire des fondateurs des Chaebol déjà expérimentés en matière de commerce.
Le deal pour maintenir les privilèges des chaebols
Ces derniers étaient, en effet, déjà investis dans le commerce international et dans la production de produits de base bon marché. Le deal fut le suivant : tant que les Chaebol remplissaient le cahier des charges économiques du gouvernement, ceux-ci gardaient leurs privilèges. Cela a alors permis aux Chaebol d’augmenter leurs ventes et leurs parts de marché sans avoir en même temps le souci de trouver des financements, de la main d’œuvre bon marché ou de subir la moindre concurrence sur le territoire.
Dans la mesure où leurs objectifs étaient avant tout technologiques, dans le but de s’assurer une suprématie militaire, les Chaebol ont très vite investi dans tous les secteurs industriels. Leur croissance leur a permis de devenir des concurrents puissants au niveau international. Dès les années 70, ils étaient devenus des entreprises de très grande taille. Aujourd’hui, selon la Banque de Corée et la Commission de commerce de Corée, le total des ventes des 20 Chaebol les plus importants représente 1 300 milliards de dollars et 964 entreprises affiliées. Ils emploient 1,23 million de personnes dans le monde. Samsung à lui tout seul emploie 265 000 personnes.
Évidemment l’argument du « trop grand pour faire faillite » et la tentation de les démanteler sont compréhensibles. Il n’empêche que d’autres voies sont possibles, en particulier celle pour le gouvernement d’adopter des réformes visant à améliorer la transparence financière de ces conglomérats tout en réduisant les incitations à la fraude fiscale. Une plus grande transparence signifierait d’adopter des pratiques comptables plus rigoureuses et moins obscures. Cela permettrait de rassurer les financiers quant à la performance et au contrôle des Chaebol.
Jeu pervers
En effet, l’ouverture à des investisseurs extérieurs suppose de pouvoir surveiller les activités des principaux actionnaires, à savoir celles des familles qui contrôlent les Chaebol. Une plus grande transparence financière permettrait aussi de compartimenter de façon formelle les différentes activités des Chaebol. Les familles – propriétaires des Chaebol – seraient ainsi incitées à choisir un management plus professionnel de leurs entreprises afin de s’assurer la confiance des investisseurs externes.
Ensuite, l’importance des droits de succession en Corée crée une double incitation pernicieuse. En effet, pour ceux qui doivent les payer et qui pour ce faire devraient démanteler leur entité, l’incitation est extrêmement forte de préférer payer un pot-de-vin plutôt que de menacer l’intégrité de la structure. Du côté des fonctionnaires, la tentation est grande aussi de les accepter tant les montants en jeu sont élevés. Plutôt que de continuer à jouer ce jeu pervers, il serait plus judicieux de le rendre moins lucratif en simplifiant et en baissant ces taxes. Certes, cela servirait les intérêts des familles propriétaires des Chaebol, mais il faut bien réaliser que le contrôle qu’elles ont sur leurs entités a déjà commencé à se dissoudre avec la 3e et 4e génération en charge.
Pour conclure, le problème que soulèvent les scandales de corruption en Corée n’est pas tant le fait que les Chaebol soient la propriété de grandes familles ou qu’elles soient « trop grosses pour faire faillite ». Plus importante est la faillite d’une réglementation qui est soit insuffisante en matière de transparence financière, soit excessive en matière fiscale. En réformant l’un et l’autre, il y a moyen de restreindre les excès d’un management familial parfois douteux. De cette façon, la Corée du sud pourra préserver les piliers de son succès économique tout en les modernisant, conserver sa place dans le commerce internationale et préserver des forces dont elle a particulièrement besoin face à la Corée du Nord.
Gabriel A. Giménez Roche est chercheur associé à l’Institut Économique Molinari et professeur assistant d’économie à NEOMA Business School.