Ce qui menace la croissance française
Texte d’opinion publié le 4 décembre 2017 dans Les Échos.
La conjoncture européenne est bien orientée. Cette année, la croissance du PIB devrait atteindre 2,3% selon les dernières prévisions de Bruxelles. Le ralentissement attendu en 2018 et 2019 serait modéré. Le chômage et les déficits publics continueraient de se résorber significativement (7,9% et 0,9% en 2019). Une bonne nouvelle pour les pays européens dont la France. Pour autant, il semble important de ne pas tomber dans un optimisme démesuré. La dernière livraison des projections européennes montre que nous ne sommes pas encore tirés d’affaire.
Premier constat, l’enjeu pour la France reste de sortir de la procédure de déficit excessif. Les déficits publics continuent de friser les 3%, à 2,9%. L’administration centrale, qui vivait 55 jours à crédit l’an passé, devrait être encore plus déficitaire l’an prochain. Selon le projet de loi de finances la situation empirerait, l’Etat financerait l’an prochain 1/5ème de ses dépenses en émettant de la dette. Fort heureusement les collectivités locales et la sécurité sociale seraient bien moins dispendieuses, ce qui permettrait de sortir de la procédure de déficit excessif début 2018. Mais la France resterait dans une bien mauvaise posture, avant dernière de l’UE en termes d’équilibre budgétaire.
Deuxième constat, la persistance des déficits ne s’explique pas par une quelconque faiblesse des recettes publiques. En dépit des discours à sensation fustigeant l’évitement de l’impôt, les administrations françaises optimisent leurs revenus. Elles figurent même parmi les champions en la matière, avec des recettes représentant 53% du PIB. Elles collectent bien plus que nombre de nos voisins arrivant à financer des Etats providence significatifs tout en équilibrant leurs comptes (Allemagne, Pays-Bas, Suède…). Le problème est ailleurs. Au-delà d’un certain seuil, l’espoir d’augmenter les recettes publiques diminue en raison de l’impact négatif de la fiscalité. Cette réalité, connue sous le nom de la « courbe de Laffer », invite la plupart des gouvernants à la prudence. D’où la multiplication de mécanismes de respiration (niches, crédit d’impôt…). Ces mécanismes sont périodiquement présentés comme la source de nos déficits. Il s’agit d’un contresens économique. Au contraire, ils ont permis d’accompagner la montée en puissance de la fiscalité, en limitant ses effets pervers sur le tissu économique.
Troisième constat, la France souffre d’un problème d’efficacité de la dépense collective. En dépit de l’importance des dépenses publiques, la croissance est moins vigoureuse chez nous. Sur la période 2017-2019, l’hexagone détiendra le record de dépense publique (56% du PIB), bien au-delà de la moyenne de l’Union européenne (46%). Si l’on se fie au multiplicateur budgétaire keynésien, nous devrions constater une croissance du PIB plus forte qu’ailleurs. Or ce n’est pas ce que montrent les chiffres. La France est avant-dernière de l’UE en termes de croissance du PIB, seule l’Italie faisant moins bien. Cette contre-performance est doublement inquiétante. D’une part, le calcul du PIB intègre les services non marchands offerts par les administrations. D’autre part, une partie significative des dépenses publiques sont financées à crédit, par de la dette. Selon la logique keynésienne ces façons de faire sont censées soutenir significativement l’activité. C’est l’inverse qu’on observe, nous achetons cher à crédit une croissance faible. L’an prochain nous devrions enregistrer une croissance d’à peine 1,7% du PIB, au prix d’un déficit de 2,9% du PIB.
En dépit de la reprise, la France reste donc au milieu du gué. Le chômage devrait rester endémique, à plus de 9% en 2018 (24ème rang dans l’UE, seuls Chypre, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce devraient faire moins bien). Nous ne disposerons d’aucune marge de manœuvre budgétaire en cas de ralentissement de la conjoncture. Contrairement aux autres pays européens, dont les déficits pourraient en moyenne tripler tout en respectant le seuil des 3%, nous n’avons plus aucun amortisseur.
Dans ces conditions le choix est simple. Ou profiter de la fenêtre d’opportunité pour réellement remettre à plat nos façons de faire. Ou continuer comme aujourd’hui, en cherchant à optimiser l’existant. La première voie implique un réel courage collectif, pour surmonter les clivages conceptuels. L’enjeu est de comprendre que nous avons tous intérêt, quelle que soient nos conceptions, à vivre dans un Etat bien géré. La deuxième voie implique de disposer, in fine, d’une capacité de résistance significative, pour absorber sans aucun filet les chocs que l’avenir nous réserve. La sagesse impliquerait de privilégier la première voie.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.