Les excédents allemands n’expliquent pas nos déficits publics
Texte d’opinion publié le 22 mai 2018 dans La Tribune.
L’égoïsme économique de l’Allemagne serait responsable des problèmes rencontrés par certains pays européens notamment la France. Décryptage d’un mythe.
Il est une croyance fort répandue : la rigueur financière serait exclusivement allemande au contraire du reste de l’Europe. La chancelière Allemande, au pouvoir depuis 13 ans, serait la digne héritière de ses prédécesseurs ordo-libéraux, défenseurs de principe de l’orthodoxie financière. Sa recherche effrénée de l’équilibre budgétaire complexifierait la donne, que ce soit lorsqu’il s’agit de mener des politiques contra-cycliques ou de développer plus encore la construction européenne. Cette façon de voir, malencontreusement alimentée par un discours récent du Président de la République, relève du mythe. Décryptage.
Théorie des stabilisateurs automatiques
Premier aspect, il n’existe pas de différence de vue théorique entre les corpus théoriques allemands et français en termes de dépenses publiques. De part et d’autre du Rhin, nous sommes adeptes, en pensée ou en pratique, de la théorie des stabilisateurs automatiques. Les périodes de crise doivent permettre aux déficits contra-cycliques de se développer, afin de favoriser la reprise économique. Inversement les périodes d’embellies sont censées être mises à profit pour rééquilibrer les comptes. D’où l’intégration d’une marge de manœuvre de 3% des déficit publics dans les critères de Maastricht. D’où, aussi, l’intégration dans le traité d’un seuil de dette publique à ne pas dépasser (60 % du PIB). La dette, obérant nos marges de manœuvre et celles des générations futures, est censée toujours rester sous contrôle. Ces règles communes ne tombent pas du ciel. Loin d’avoir été imposées aux Français, elles ont été proposées et défendues par notre plus haute administration. Je me souviens, jeune étudiant, de mes professeurs d’économies et de finances publiques expliquant avec fierté comment la France avait réussi à imposer au reste de l’Europe des critères que nous n’aurions aucun mal à respecter, contrairement à nos voisins…
L’Allemagne n’est pas isolée
Deuxième aspect, cet engagement commun est respecté par une proportion non négligeable de pays de l’Union. Il y a bien sûr l’Allemagne qui a connu 7 ans d’excédents publics en 20 ans. Au global, sa dette est sous contrôle. Elle est aujourd’hui du même montant qu’avant la dernière crise économique. Une situation radicalement différente en France, avec des dérapages publics depuis 1975 de l’ordre de 3,3% du PIB par an. Dans un discours récent à Cologne, le Président de la République français invitait la chancelière allemande à se défaire d’un « fétichisme perpétuel pour les excédents », accréditant en creux l’idée d’une Allemagne isolée.
Or, la réalité est bien différente. Les derniers chiffres montrent que 12 autres pays arrivent à équilibrer leurs comptes publics. Des excédents notables sont, par exemple, enregistrés en Suède (+1,3%), aux Pays-Bas (+1,1%) ou au Danemark (+1%). Passer sous silence cette tendance n’aide pas à faire la nécessaire pédagogie autour de l’importance du retour à l’équilibre budgétaire en France. Elle introduit de l’ambiguïté dans un discours présidentiel montrant par ailleurs l’attachement à une baisse des dépenses publiques. Une ambivalence regrettable, car notre inaptitude à rééquilibrer les comptes en période de reprise économique nous expose en cas de retournement conjoncturel.
Les excédents publics des uns n’empêchent pas les autres d’équilibrer leurs comptes
Troisième aspect, veillons à ne pas véhiculer des visions économiques clivantes et sans fondements. Dans son allocution à Cologne, le Président a invité l’Allemagne à se défaire de ses excédents budgétaires et commerciaux au motif qu’ils seraient faits « aux dépens » d’autres pays. Un amalgame sans fondement. Si les excédents commerciaux des uns sont les déficits commerciaux des autres, cette logique ne s’applique pas aux finances publiques. Il n’y a aucune raison que les excédents publics des uns empêchent les autres d’équilibrer leurs comptes. Ce sophisme, contre-productif au regard du travail de pédagogie à faire en France, est aussi inutilement clivant vis-à-vis de voisins dont nous sommes dépendants. Nous avons en permanence besoin d’eux en tant qu’acheteurs de dette publique. Les statistiques officielles montrent que 55% de la dette créée par l’Etat est détenue par des non-résidents et que le volume d’émissions est significatif. La richesse et l’épargne de nos voisins nous profitent donc. Conformément à l’adage populaire, évitons d’être l’hôpital se moquant de la charité, même si nos voisins pensent, à tort ou à raison, faire un bon placement en achetant nos titres de dettes.
Besoin d’intelligence collective
Ajoutons que nous sommes susceptibles d’avoir encore plus besoin de la confiance et de la compréhension de nos voisins si notre situation ne s’améliorait pas significativement avant le prochain retournement conjoncturel. S’il s’avérait que la qualité de la dette française était remise en cause, à l’image des déboires rencontrés il y a quelques années par nos voisins du Sud, nous aurions besoin de bien plus d’intelligence collective qu’un remake contemporain de la fable de la cigale et la fourmi. Ce texte, publié il y a 350 ans par Jean de la Fontaine dans un recueil destiné à l’éducation du Dauphin, décrit un risque qui ne devrait pas être négligé. Il ne tient qu’à notre intelligence collective qu’il ne reste qu’une allégorie.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.