Le prélèvement à la source, un chantier complexe pour un impôt représentant à peine 3,1 % du PIB
Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.
La mise en place du prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu continue de susciter des inquiétudes. Présenté comme une mesure de simplification, le PAS s’avère bien plus épineux que prévu à mettre en place. En dépit des reports de mise en œuvre, de 2018 à 2019 pour tout le monde, puis à 2020 pour les emplois à domicile, les interrogations subsistent sur le bien-fondé de ce changement.
Véritable serpent de mer, le PAS a été appliqué en France de 1940 à 1948 avant d’être abandonné en raison, notamment, de sa complexité. Près de vingt ans plus tard, Michel Debré avait lancé une initiative en faveur de sa réintroduction en 1966. Elle avait été abandonnée suite à l’hostilité des organisations syndicales à l’égard de cette mesure qui aurait réduit les salaires nets. Valery Giscard d’Estaing a été tenté lui aussi par la démarche, en 1973. À nouveau, le gouvernement recula de peur que le prélèvement à la source n’entraîne des revendications généralisées de la part de salariés qui auraient pu considérer, à la lecture de leur feuille de paie, que leur pouvoir d’achat était amputé. Plus proche de nous, Thierry Breton avait travaillé sur la question en 2007, tout comme Jean-Marc Ayrault en 2013, avant que Manuel Valls remette le sujet en selle en 2015.
Les employeurs seront chargés de prélever à la source l’impôt sur le revenu à compter du 1er janvier 2019. Cela renforcera leur rôle de « tiers payeurs ». En plus de collecter les charges sociales, la CSG-CRDS et une multitude de cotisations, ils collecteront l’impôt sur le revenu.
Dans les faits, ils devront déduire des paies un taux d’imposition communiqué par les pouvoirs publics, basé sur la précédente déclaration de revenu. En effet, les logiciels de paie n’intègrent pas la totalité des informations nécessaires au calcul de l’impôt sur le revenu, loin de là. Conçus pour des calculs de charges sociales, ils ignorent des spécificités comme la composition des ménages, les charges déductibles ou les réductions et crédits d’impôt. Conséquence : les déclarations d’impôts resteront nécessaires, et il faudra mettre en place des aménagements pour les contribuables ayant trop ou pas assez payé d’impôt sur le revenu.
Un des éléments surprenant dans la gestion de ce dossier reste l’absence d’étude d’impact sérieuse en amont de la prise de décision.
Ce choix politique semble avoir été pris sans prendre en considération les précédentes analyses chiffrées. Pourtant, en 2012, le conseil des prélèvements obligatoires estimait que cette mesure coûterait aux entreprises entre 1,3 et 3,5 % des sommes collectées, soit une facture de 700 millions d’euros à 2 milliards par an. Le conseil estimait que les économies seraient minimes pour l’administration fiscale : de l’ordre de 200 équivalents temps plein, soit environ 12 millions d’euros par an. Mais ce chiffrage ne tenait pas compte de toute une série de surcoûts : les administrations devront notamment contrôler l’activité des « tiers payeurs » et gérer les régularisations à faire pour les ménages ayant trop ou pas assez payé.
L’expérience montre que toute une série de projets récents, censés générer des économies se sont avérés des gouffres financiers pour le contribuable. On se souvient que depuis 2012, la comptabilité de l’Etat a basculé dans « Chorus », un logiciel qui a coûté 500 millions de plus que prévu. L’année suivante, le ministre de la défense décidait d’abandonner à terme le logiciel de paie « Louvois », après 460 millions de dérapages. Toujours en 2013, la Cour des comptes estimait que le Dossier médical personnel (DMP) avait conduit à dépenser un demi-milliard en pure perte. En 2014, une réunion interministérielle entérinait l’abandon du projet de refonte du circuit de paie des agents de l’Etat. Ce programme, dit ONP, visait à rationaliser la gestion de la paie de 2,7 millions d’agents publics, avec à la clef une facture de 346 millions pour le contribuable. La mise en œuvre du prélèvement à la source, déjà reportée de 2018 à 2019, puis de 2019 à 2020 pour les salariés de particuliers, présente elle-aussi des risques significatifs.
Or, les gains attendus sont bien faibles. Le prélèvement à la source est déjà majoritaire depuis des années en France, en raison de l’importance des charges sociales et de la CSG et CRDS. L’impôt sur le revenu ne représente que 3,1 % du PIB et moins de 8% des prélèvements obligatoires. Son traitement, qui ne concerne que 42,8 % des foyers fiscaux, est déjà largement « optimisé ». Les déclarations sont déjà préremplies, entre 60 et 70 % des contribuables sont déjà mensualisés. Le taux de recouvrement est de l’ordre de 98 %, quasiment autant que pour les charges sociales…
Nicolas Marques est directeur de l’Institut économique Molinari.