Huile de palme, abandonnons les approches manichéennes
Texte d’opinion publié le 25 octobre 2018 dans La Tribune.
La nomination d’Emmanuelle Wargon au poste de secrétaire d’Etat à l’Ecologie a relancé le débat sur l’huile de palme. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir défendu sa production lorsqu’elle travaillait chez Danone. Au delà de la polémique qui se résume à bannir ou autoriser, est-il possible d’avoir un débat serein pour examiner les arguments favorables ou défavorables à cette huile végétale, notamment en terme de réduction d’émissions de CO2 ?
L’huile de palme revient d’actualité ces derniers jours. Emmanuelle Wargon, nouvelle secrétaire d’Etat à l’Ecologie, est, en effet, accusée d’avoir défendu cette huile dans son précédent emploi. Directrice des affaires publiques chez Danone, elle avait mis en avant l’intérêt de l’huile de palme dans les laits infantiles. Cette nouvelle polémique nous rappelle combien la médiatisation peut caricaturer à l’extrême des sujets complexes et laisser croire qu’il n’y a que deux issues possibles : bannir ou autoriser. Evidemment, la question ne se pose pas en ces termes manichéens.
L’essayiste Nicholas Nassim Taleb est connu pour ses nombreux ouvrages sur les risques systémiques. Il peut être très critique de nombre de réglementations qui nuisent au bon fonctionnement de notre société globale interconnectée, système éminemment complexe. Il est néanmoins favorable à ce que les pouvoirs publics interviennent pour minimiser les émissions de CO2. Car, selon lui, tout est question de dose et, dans le cas du dioxyde de carbone, la dose est sans doute trop élevée. D’où son conseil de réduire le CO2 rejoignant le consensus scientifique à ce sujet.
Les polémiques obscurcissent les débats
Il ne suffit cependant pas de vouloir intervenir pour intervenir intelligemment. La lutte contre le changement climatique s’imbrique dans un nombre de contraintes qui limitent plus ou moins la capacité d’intervention. Chaque proposition d’intervention doit au minimum montrer qu’elle est susceptible de diminuer les émissions de CO2. Et c’est donc la question première qui devrait être posée à l’égard de l’huile de palme.
Or, les polémiques à son sujet obscurcissent les débats.
Il faut tenir compte de ce qu’il existe au niveau mondial une demande importante pour l’huile végétale. Cette huile doit être produite grâce à des plantes. Or, on sait que les arbres à huile de palme produisent presque 10 fois plus d’huile à l’hectare que le soja et 5 fois plus que le colza. D’autre part, la production d’huile de palme nécessite environ 70 % moins d’engrais, de pesticides et de carburant pour produire la même quantité d’huile de colza ou de soja.
Si on considère que le couvert forestier est nécessaire pour emprisonner le CO2 et éviter des émissions supplémentaires, mieux vaut produire de l’huile de palme, contrairement à ce qu’affirme Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, qui a appelé à « combattre l’huile de palme ». L’huile de palme permet d’économiser les surfaces cultivées. Limiter cette production par le biais notamment d’un critère de déforestation, comme le souhaitent la Commission européenne ou le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, nécessitera la mise en culture d’autres surfaces plus importantes. Qui plus est si elles le sont dans des régions peut-être moins favorisées sur le plan du climat que la Malaisie et l’Indonésie. En cela, la nouvelle secrétaire d’Etat à l’écologie avait raison de rappeler de ne pas clouer au pilori l’huile de palme.
Les effets d’une politique ne sont pas linéaires
L’opinion publique a été travaillée au cours des dernières années par l’activisme anti huile de palme. N’avez-vous pas été sollicité par l’un de vos enfants vous demandant s’il pouvait continuer à manger du Nutella ? Je l’ai été, et j’ai été bien en peine de répondre. Parce que nos économies sont globalisées et interconnectées, les effets d’une politique ne sont pas linéaires.
Il ne suffit pas d’interdire la consommation d’huile de palme pour que sa production disparaisse et quand bien même elle disparaîtrait, il est probable qu’elle serait remplacée par d’autres huiles qui nécessiteraient elles-mêmes d’être cultivées, sauf innovation technologique majeure. Les effets et contre-effets sont à tous les niveaux et les occulter dans la discussion ne fait pas progresser le débat et n’est pas nécessairement une démarche, efficace pour trouver des solutions permettant de réduire réellement les émissions de CO2.
Certains proposent de recourir à des certifications de production d’huile de palme. Ce type de solution est bien plus pragmatique que l’interdiction pure et simple, si tant est qu’il soit possible de montrer que cette démarche apporte une valeur ajoutée.
Favoriser l’émergence de solutions disruptives
Enfin, il est dommageable, selon moi, de ne pas intégrer dans le raisonnement ce que les individus ont à perdre en termes de liberté individuelle, à chaque niveau d’intervention. Car, outre l’attachement que l’on peut avoir pour la liberté en général, la liberté économique est un moyen efficace de répondre aux besoins des individus. Elle est peut-être d’ailleurs la condition qui favorisera l’émergence de solutions disruptives susceptibles de réduire à terme les émissions à grande échelle sans créer de guerre commerciale inutile avec les pays producteurs, en interdisant l’importation d’huile de palme.
Ceci n’est peut-être pas d’un grand réconfort, mais quand on aborde des questions complexes comme celles du changement climatique, il n’y a pas de solution miracle. La nomination d’Emmanuelle Wargon montre peut-être que des approches moins manichéennes sont possibles.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.